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arménien, ou d’un baiser politique donné par un cheik à un patriarche, pour que l’éponge soit passée à tout jamais sur ces actes abominables et qu’il n’en soit plus question ? Les faits divers relatés journellement par la presse nous prouvent, hélas ! le contraire.

Même après les démonstrations patriotiques qui viennent d’avoir lieu, après tous les appels à la concorde, les haines religieuses ne désarment pas en Orient... Le jour de la proclamation, à Jérusalem, de la nouvelle Constitution ottomane, il s’y produisit un incident vraiment significatif et même un peu comique, si l’on tient compte des circonstances actuelles. On s’était réuni sur le parvis de la mosquée d’Omar, Chrétiens, Musulmans et Juifs, pour acclamer la liberté et fraterniser ensemble. Ce fut, paraît-il, débordant d’enthousiasme. On sortit de l’enceinte sacrée, musique en tête, et l’on se répandit à travers la ville, pleine de bannières et toute bourdonnante de discours. Un groupe de manifestans Israélites s’avisa de vouloir traverser la petite place du Saint-Sépulcre, dont l’accès est rigoureusement interdit à ceux de leur religion. Aussitôt des moines grecs et arméniens, brandissant des massues, leur coupèrent le passage : « Liberté ! fraternité ! » protestèrent les Juifs. A quoi les moines répondirent : « Que celui qui veut entrer s’avance, on lui réglera son affaire ! » Le plus beau, c’est qu’à la mosquée d’Omar, ces mêmes moines avaient défilé, comme les autres, sur l’estrade oratoire, pour y célébrer la liberté et l’égalité civique de tous les cultes.

Il y a quelque distance, comme on le voit, de la théorie à la pratique. Si, d’autre part, on ouvre les journaux égyptiens, on constate que chaque semaine, ou peu s’en faut, des collisions sanglantes éclatent, dans les villages comme dans les villes, entre fellahs musulmans et surtout entre musulmans et coptes. On trouble les offices du voisin, on dévalise les couvens, on pille les maisons, on s’assomme à coups de nabbout. Dernièrement, un copte s’étant converti à l’Islam, pour prendre femme contre le gré de son curé, ses nouveaux coreligionnaires l’escortèrent en grande pompe jusqu’à son logis. Et, pour mieux fêter ce joyeux événement, ils jugèrent à propos de tomber sur les chrétiens et de mettre le feu à quelques cambuses, ce qui fit presque une émeute dans la localité.

A supposer que ces haines s’apaisent, qu’une sorte de niveau