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semblé qu’en Orient, — du moins dans les villes, — ils ont beaucoup perdu de leur vogue. J’y ai rencontré bien moins de conteurs populaires qu’en Algérie. Deux ou trois fois au plus, — et dans les quartiers très excentriques, — j’ai vu des artisans faire la lecture, le soir, au milieu d’un petit cercle d’auditeurs accroupis devant les portes. On m’affirme d’autre part que les Mille et une Nuits ont été mises à l’index par les rigoristes, comme lecture indécente et graveleuse, et que cet interdit s’explique encore par le fait que des récitateurs peu scrupuleux y introduisaient subrepticement des contes de leur cru, des interpolations franchement obscènes et ordurières. Il se peut enfin que les générations nouvelles n’aient pas autant de goût que les anciennes pour ce délassement patriarcal. En revanche, j’ai constaté un peu partout, dans le peuple comme dans les classes élevées, un engouement de plus en plus marqué pour le théâtre. Et je ne dis pas le théâtre rudimentaire des Orientaux, — le guignol de Karagheuz ou des ombres chinoises, — mais un théâtre moderne, imité plus ou moins du nôtre.

Cela bouleversait, de nouveau, tous mes préjugés. On m’avait tant répété que les peuples de race ou d’éducation sémitique répugnent à la conception du drame que, pour moi, c’était devenu un axiome indiscutable. Les Arabes et, en général, les Musulmans, pensais-je, n’ont ni l’intelligence ni le goût du théâtre. Et pourtant, si le sémitisme est la cause de cette répugnance, comment expliquer que, dans tous les pays du Levant, les troupes de chanteurs et d’acteurs se composent presque exclusivement de Juifs ? Mais ne cherchons point de raisons a priori. Tenons-nous-en au simple fait. Or il est incontestable qu’en Orient, les Musulmans comme les Chrétiens aiment le théâtre. Je ne parle pas de ces adaptations ou de ces imitations dramatiques qui ont été tentées, voilà déjà longtemps, par les lettrés turcs ou arabes : ce sont récréations de dilettantes. Je ne parle pas non plus de ces cafés-concerts, si fréquens aux alentours des lieux de plaisir, ces établissemens équivoques où de crapuleux acteurs exécutent des danses et des chants indigènes, qui ne servent que de prétexte à leur vrai métier. Ce qui m’a paru plus significatif que tout cela, ce sont les petites salles misérables, où la plèbe des grandes villes va chercher des émotions dramatiques à sa portée, et où des compositeurs strictement populaires s’appliquent à lui servir le régal qu’elle désire,