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vivent dans la terreur du jour où ils seront forcés de redevenir libres. Ou bien, si quelques-uns aspirent à la liberté, afin de s’offrir une semaine de « bon temps » avec les sommes que leur donneront les diverses sociétés instituées pour venir en aide aux prisonniers libérés, on peut être certain que, cependant, ils ont déjà médité et préparé la manière dont ils réussiront, bientôt, à se faire rendre l’existence régulière et saine, l’honnête travail et les doux loisirs de la prison.

Un second trait également caractéristique et « national, » chez notre ouvrier, est la croyance superstitieuse aux manifestations surnaturelles. Car en même temps que l’Anglais est, entre tous les peuples, le plus passionnément soucieux de son indépendance d’esprit, il est aussi, à tous les degrés de la société, le plus nourri des préjugés séculaires qui consistent à redouter les mauvais présages, et à admettre la possibilité d’interventions occultes dans les faits les plus banals de la vie quotidienne. Ce n’est pas l’Italie du Sud, ni l’Espagne, mais bien le Royaume-Uni de la Grande-Bretagne que l’on peut désormais considérer, à bon droit, comme le séjour favori des « dames blanches, » des « revenans, » et des « esprits frappeurs. » Je ne puis oublier avec quel sérieux, jadis, un vénérable professeur de l’université d’Edimbourg m’a affirmé que le fait de passer sous une échelle, ou la présence, dans une chambre, de trois bougies allumées constituaient des avertissemens certains de catastrophes, ou tout au moins de graves ennuis. Pareillement, l’auteur des Souvenirs est infatigable à découvrir, dans son passé, une foule de prodiges et d’événemens mystérieux dont la plupart, il faut l’avouer, nous étonnent peut-être plus encore par leur parfaite inutilité que par l’origine surnaturelle de leur apparition. Tantôt il nous présente un cheval dont le regard ironique a pour effet d’affoler tous ceux qui commettent l’imprudence de s’y exposer ; ou bien nous apprenons que l’auteur, un matin, a été réveillé par des coups violens frappés à sa porte, à l’instant où, dans un village voisin, mourait une dame qui était un peu parente de sa femme, sans que, du reste, la vie ni la mort de cette personne eussent eu de quoi le préoccuper. Mais la plus mémorable de toutes ces histoires, et vraiment racontée avec un relief singulier, est celle d’un voyageur inconnu que l’ouvrier a rencontré dans un cabaret de village. Cet inconnu semblait animé des intentions les plus amicales, et s’était empressé d’offrir de la bière au groupe des trois maçons avec qui le hasard l’avait réuni ; mais ceux-ci, d’un même sentiment irraisonné, avaient eu peur de l’exiguïté anormale de sa tête, et de la