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Sont-ce tes paladins qui, pour leur Charlemagne,
Promenaient leurs exploits de la mer au Mont-Blanc,
Ceux qui, prêts à mourir aux marches de l’Espagne,
Sur la cime ont taillé la brèche de Roland ?

Sont-ce tes troubadours, qui chantaient sur le Rhône
Pour la dame lointaine en sa tour suffoquant ?
Est-ce Arles, reine en pleurs, qui rêve sur son trône
Des vierges qui toujours dorment aux Aliscamps ?

Sont-ce tes rois, amis des Grâces, qui semèrent
Leurs amours, sur la Loire, en châteaux merveilleux,
Et, sous les bois profonds de leurs jardins, aimèrent
Le divin Léonard et l’éclair des beaux yeux ?

Sont-ce tes pionniers courant au bout du monde
Conquérir les pampas, l’Inde et le Parthénon,
Et ne laissant, après leur course vagabonde,
Aux peuples effarés qu’une tombe et qu’un nom ?

Sont-ce tes Abeilards, sont-ce tes Héloïses
Qui s’adorent encore au fond de leurs cercueils ?
Sont-ce tes panthéons, tes cloîtres, tes églises,
Tes vivans ou tes morts, tes gloires ou tes deuils ?

Non, c’est toi-même, ô France, ô pâle prophétesse,
Dont la voix a fixé mon désir frissonnant,
Un soir que je te vis assise en Druidesse
Dans ta vieille forêt, sous ton chêne sonnant.
 
L’Océan mugissait, le vent, de grève en grève,
Faisait rage, et le sol semblait trembler de peur…
Mais toi, les yeux perdus, tu poursuivais ton rêve
Dans une vision de magique splendeur…

Autour de toi, tes fils, groupés sous le feuillage,
Regardaient dans tes yeux le dieu s’épanouir,
Comme une voix d’en haut attendant ton message ;
Tu leur dis, le regard fixé sur l’avenir :