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aux jugemens de la critique bien plus d’ampleur et de fermeté. Mais, en somme, si désirables que soient ces accroissemens de connaissance, il ne semble pas qu’ils puissent modifier en rien d’essentiel l’idée que nous pouvons dès à présent nous faire du génie du poète.

Ménandre a réuni en lui la plupart des qualités qui ont fait le charme et la force du génie athénien, mais non pas toutes au même degré. Parmi ces qualités, les unes tendaient à la création originale, les autres à l’observation intuitive ou méthodique. Il a eu, des premières, tout ce qu’il fallait pour donner à ses pièces de la vie, de la variété, de la force même, et par là, il a réussi à constituer, sous l’influence d’Euripide, une dernière forme de drame très distinguée et dont l’influence a été féconde. Malgré tout, c’est la faculté d’observer et de reproduire ce qu’il voyait qui semble avoir prédominé en lui. Il y a plus d’imitation directe de la vie, dans son théâtre, que de création puissante. Il a peint ses contemporains tels qu’il les voyait, et il les a bien vus. En les peignant ainsi, il a eu le grand mérite d’atteindre souvent le fond humain qui n’est limité ni dans l’espace ni dans le temps. Mais il ne semble pas qu’il y ait fait de découvertes inattendues et profondes, comme en avaient fait les grands Attiques avant lui dans tous les domaines du sentiment et de la pensée. Et voilà pourquoi il nous apparaît surtout comme un héritier, avec ce privilège toutefois qu’étant venu recueillir l’héritage au moment qui en a précédé la dispersion, il est le dernier qui on ait eu l’entière jouissance et qui s’en soit fait honneur complètement.


MAURICE CROISET.