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devait être proportionnellement supérieur à ce qu’il est aujourd’hui, quoique l’aisance des salariés fût bien moindre que de nos jours. Dans la Russie contemporaine, la somme des salaires est, par rapport à la somme des revenus, bien plus grande qu’en Angleterre ; ce qui n’empêche pas le mougik d’être pauvre, tandis que l’ouvrier anglais est riche.

Jusqu’ici nous venons d’appeler « salaire » la rétribution du pur travail manuel et nous l’avons comparée à la rente que l’argent, placé n’importe où et n’importe comment, représenté par des valeurs ou par des immeubles, rapporte sinon sans risque, du moins sans labeur. Mais il est d’autres salaires : les appointemens des fonctions privées ou publiques et les honoraires des professions libérales, que l’on peut estimer à deux milliards et demi par an. Il est aussi des revenus mixtes, produits à la fois du travail et du capital : ce sont les bénéfices des commerçans, des industriels, des fermiers ou autres exploitans du sol, que nous avons chiffrés à trois milliards et demi[1]. Sur le profit de cette classe on peut admettre que la moitié au plus représente l’intérêt de son argent et l’autre moitié son salaire.

Ainsi, dans, la répartition proportionnelle des recettes nationales, la part du travail, quelle qu’en soit la nature, depuis la journée du maçon jusqu’à la comédie de l’auteur dramatique, se chiffre annuellement par quelque 16 ou 17 milliards, moitié plus que les 10 ou 11 milliards de revenu des capitaux. Mais n’allez pas croire qu’il y ait un avantage quelconque pour une nation à ce que la part du travail dans les recettes, — qui se trouve ici de 60 pour 100, — surpasse la part du capital, — qui est de 40 pour 100.

C’est un fait sans conséquence ; même le contraire serait plus avantageux pour la France : il vaudrait mieux que la part des capitaux égalât celle des salaires, ce qui est probablement le cas en Angleterre. Reprocher aux capitaux d’avoir en cent ans augmenté plus que les salaires, — qui ont quadruplé, — c’est faire le procès de la France moderne sur un chapitre où elle

  1. En Angleterre, les statistiques de l’Income-Tax donnent pour les appointemens le chiffre de 2 milliards 900 millions de francs et celui de 5 milliards 200 millions pour les bénéfices du commerce, de l’industrie, de l’exploitation agricole et des professions libérales. Soit, pour ces diverses catégories, un total de 8 milliards 100 millions, au lieu des 6 milliards que nous leur attribuons en France. Et la différence paraîtra plus sensible encore, si l’on songe qu’en Angleterre les revenus inférieurs à 4 000 francs ne figurent pas dans les chiffres ci-dessus.