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probablement pas parmi les habitués de Mignon. L’exquise créature est à peine reconnaissable sous son déguisement d’opéra-comique ; il lui reste, malgré tout, comme une lueur d’auréole.

« Mes ouvrages, disait Gœthe au bon Eckermann, ne peuvent pas devenir populaires : celui qui pense le contraire et qui travaille à les rendre populaires est dans l’erreur. Ils ne sont pas écrits pour la masse, mais seulement pour ces hommes qui, voulant et cherchant ce que j’ai voulu et cherché, marchent dans les mêmes voies que moi. »

Les ouvrages de Gœthe sont devenus populaires ; et les musiciens y ont beaucoup travaillé, se voulant et se cherchant eux-mêmes dans ses créations, sans chercher ce qu’il avait voulu ; s’acharnant à les dépouiller de toute la signification qu’il y avait déposée ; fabriquant à l’usage de notre insuffisance, pour en soutenir l’éclat, de méchans verres bleus. Maîtres pourtant d’un art, le seul apte à dégager de la gangue du verbe la vie essentielle, pour la dresser nue, palpitante et claire, dans l’évidence des sons, ils n’ont su que ramènera l’état brut les choses dont le poète avait fait de la beauté. Qu’ils se soient tant de fois laissé fasciner par Faust, cela n’étonne point. Sous un visage colossal, multiple, ami comme celui de la nature même, l’âme humaine y respire en sa totalité. Mais ces musiciens, au rebours de leur devoir et de leur fonction fondamentale, se sont attachés au corps plutôt qu’à l’Ame. Comme Hélène disparue ne laisse aux mains de Faust que ses voiles, ils n’ont retenu, du prodigieux poème, qu’un décor de toile peinte et des oripeaux vides.


I

Gœthe ne trouva dans le drame de Marlowe qu’un homme d’esprit assez étroit et de chair faible. Sa faiblesse même intéresse, et surtout l’angoisse de sa fin. Mais ce n’est point encore le savant déçu, qui saigne de sa jeunesse usée dans la manie du livre. Quand il évoque Méphistophélès, il sort à peine de l’état d’étudiant. Il est avide de joies sensuelles, violentes et rares ; ambitieux de richesses et d’honneurs ; curieux d’étonner les grands par ses tours de magie, et de berner les petits. Au pape ou au maquignon, il joue presque les mêmes farces de tréteaux. C’est un aventurier, volontiers escroc. Son péché principal est le blasphème ; et pour le mieux indiquer, il revêt un surplis