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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/170

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d’opposition, son talent est fait surtout de critique et de contradiction. La critique, voilà la faculté maîtresse de M. Balfour, qu’il l’exerce dans le domaine de la philosophie pure ou dans celui de la politique au jour le jour. Mais ce qui le caractérise, c’est que cette méthode négative l’a toujours mené à un résultat positif. Il commence toujours par raisonner a contrario. « Si tel principe est faux, le principe inverse est, très probablement, vrai. » Il tourne toute question en un dilemme et l’on conçoit que trente-cinq années, passées à la Chambre des Communes où il n’y a jamais que deux solutions à un problème, où, sur toute chose, il faut en venir à voter radical ou tory, n’ont pu qu’ajouter à cette disposition native toute la force de l’habitude. Comme nous l’avons vu, les lacunes et les défauts du positivisme ont été, à ses yeux, autant de preuves indirectes et provisoires du christianisme. Or, quand on se trouve dans cet état mental, les preuves directes et définitives ne tardent jamais à venir. Tout de même, les vices et les inconvéniens de la liberté commerciale lui ont apparu d’abord et ont fait de lui un protectionniste, comme les inconvéniens du système opposé auraient pu faire de lui un free trader.

De sa nonchalance juvénile, M. Balfour a conservé une sorte de dédain poli qui ne messied pas à un chef. Il est devenu un très bon orateur et ne sera jamais un grand, vraiment grand orateur, mais il a encore le temps de devenir un grand ministre, si les circonstances l’y aident ou, plutôt, si elles l’y obligent. En tout cas, on peut lui appliquer le bel éloge qu’il a donné à Gladstone, et qu’il a si bien justifié : il est aujourd’hui le premier des parlementaires dans le premier des Parlemens du monde.


AUGUSTIN FILON.