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découvrir, créer artificiellement une provocation, prendre le rôle d’agresseur, « de chercheur de noise[1], » auquel il avait voulu acculer la France. Mais où aurait-il trouvé cette noise ? Eût-ce été dans les termes qu’il prétendait insolens de notre déclaration ? Tout cela avait été couvert par la négociation d’Ems et par les concessions que le Roi nous avait accordées. « Après la question principale résolue, revenir en arrière eût été trop maladroit[2]. » Pour ce prétexte, s’il le trouvait, il fallait l’assentiment du Roi, et il était à peu près certain qu’il ne l’aurait pas.

En effet, en recevant dans cette journée du 12 le message du colonel Strantz, le Roi en avait ressenti un véritable soulagement : « Cela m’ôte une pierre du cœur, écrivait-il à la Reine, mais tais-le vis-à-vis de tout le monde, afin que la nouvelle ne vienne pas d’abord de nous, et moi aussi, je n’en dis rien à Benedetti, jusqu’à ce que nous ayons demain, par Strantz, la lettre entre les mains. Il est aussi maintenant d’autant plus important que tu accentues aujourd’hui encore à dessein que je laisse tout aux Hohenzollern en ce qui touche la décision à prendre, comme je l’ai fait pour l’acceptation. » Gramont d’autre part avait, dès le début de ses négociations avec Lyons, promis qu’à défaut d’une renonciation ordonnée ou conseillée par le Roi, nous nous contenterions d’une renonciation spontanée de Léopold, pourvu que le Roi y participât d’une manière quelconque ; cette participation n’étant plus douteuse, Benedetti a eu raison de dire que si, le 12, rien n’était conclu encore définitivement, la solution était un fait moralement certain, qu’elle avait à ce moment l’agrément des deux parties, et qu’il ne restait plus qu’à recevoir la déclaration du Roi.

Tout épanoui de n’avoir plus cette « pierre au cœur, » le Roi avait accepté à souper avec le prince Albrecht et quelques amis dans le jardin du Casino. Au moment même où il s’y rendait. Abeken arrivait avec le télégramme comminatoire de Bismarck. Le Roi s’approcha d’un bec de gaz et le lut. Son visage s’anima,

  1. Dans tout son récit, Keudell donne à son chef un rôle de pacifique imbécile qui ne se rend jamais compte de ce qu’il fait et il s’explique son arrêt à Berlin encore plus ridiculement. « Il s’arrêta, dit-il, parce qu’il n’était pas bien. » S’il veut parler moralement, oui, mais matériellement, c’est niais ; les souvenirs de Bismarck sur la dépêche d’Ems rendent à l’événement sa véritable physionomie.
  2. Souvenirs de Bismarck, p. 102.