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Ne confondez pas la foi avec la conviction. La conviction est l’acte de l’esprit qui adhère à ce qu’il voit ou croit voir. La foi est l’acte de la volonté qui se soumet, souvent sans conviction, quelquefois contre la conviction même, à ce qu’une raison extérieure et plus élevée déclare vrai. Voilà pourquoi la foi est toujours possible, moyennant une grâce qui n’est jamais refusée, et voilà aussi pourquoi elle est méritoire. Quiconque veut croire, croit ; car cette volonté est la foi même. Le motif qui vous tient éloignée des sacremens n’est donc pas fondé, et vous vous privez par-là de la seule force qui peut vous soutenir, de la seule consolation qui peut adoucir l’amertume de vos regrets. Je vous dirais volontiers comme Hamlet : « Il y a plus de choses au ciel et sur la terre qu’on n’en rêve dans votre philosophie ; » et dans toute philosophie. Que vous importe de comprendre ? Et comment voulez-vous avoir l’idée, le sentiment d’un état qui n’a rien de commun avec votre état actuel ? Ce que vous demandez est contradictoire ; vous demandez à voir sans yeux, à entendre sans l’organe de l’ouïe. Vous n’avez point, vous ne pouvez avoir le sens de la vie future. Il y a six mille ans que le genre humain y croit inébranlablement, sans la connaître plus que vous, sans la sentir plus que vous. Croyez-y comme lui, avec lui, et ne cherchez pas dans les ténèbres un asile contre l’espérance.


Ces lettres de Lamennais sont encore intéressantes par les jours qu’elles ouvrent sur sa nature intime. Ce lutteur infatigable, cet âpre polémiste était, nous l’avons vu, un tendre. Il était aussi un triste : « Mon âme, disait-il, est douloureuse de tous les côtés. » « Je ne me suis jamais senti bien dans ce monde, a-t-il écrit plus tard ; j’en ai toujours désiré un autre et quand je détournais mes regards du seul où nous devions espérer la paix, mon imagination, jeune encore, en créait de fantastique, et ce m’était un grand charme dans ma solitude. Sur le bord de la mer, au fond des forêts, je me nourrissais de ces vaines pensées, et ignorant l’usage de la vie, je l’endormais en berçant dans le vague mon âme fatiguée d’elle-même. » La mélancolie dont il ressentait les atteintes n’était pas cependant ce qu’on a appelé, d’un mot pompeux, le mal du siècle, le mal des Werther, des René, des Oberman, dans lequel il entrait pas mal d’ambition déçue, de vanité et d’égoïsme. Elle était d’une nature plus noble. Elle tenait de cet autre mal qui, dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, faisait tant de ravages dans les cloîtres et les déserts, que les Pères de l’Eglise le désignaient d’un nom spécial. En grec ils l’appelaient athumia et en latin : acedia. Dégoût de la terre, nostalgie du ciel, cette mélancolie inspirait à un auteur inconnu certaine strophe d’un vieil hymne qu’on chante encore aux Complies, à certaines époques de l’année :