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certaines années, il ne faut pas s’étonner si cette récolte permet bon an mal an à la population de T... de B... de réaliser un bénéfice global d’une dizaine de mille francs. C’est par cette remarque plutôt consolante que nous terminons la partie locale de notre étude avant d’en venir à un examen plus général. La civilisation moderne ne devait-elle pas cette compensation pécuniaire à la pauvre commune qu’elle a si peu favorablement traitée jusqu’à ce jour ?


V

Essayons maintenant d’ébaucher eu quelques traits un croquis de la situation du pays sous l’ancien régime et de le rapprocher du tableau plus complet que permettent de dresser les documens relatifs au siècle qui vient à peine de s’écouler.

Le pays, jadis riant, a été ruiné par l’abus du pâturage et par des défoncemens inconsidérés. Sous Louis XV, le paysan redoute toujours de voir le blé lui faire défaut ; d’autre part, le bas prix de la main-d’œuvre le décide à défricher au hasard les terrains des collines et les flancs des montagnes pour y semer la précieuse céréale ; les soi-disant « économistes » encouragent ces imprudences, et les seigneurs donnent quelquefois l’exemple les premiers. Notre homme recueille en effet pendant une année ou deux sur la terre vierge une moisson qui lui paraît superbe ; mais que survienne un orage, et la terre, n’étant plus retenue par les racines des arbres, est balayée par la fureur des eaux jusqu’au fond de la vallée. Pour la même raison, l’impétuosité de filets liquides n’est plus amortie, et les moindres plis de terrain se métamorphosent en torrens ravageurs qui, une fois la terre superficielle, la « chair de montagne » arrachée, entraînent l’ossature rocheuse elle-même, de sorte que le thalweg s’encombre de débris infertiles. Quelquefois le défricheur est un paysan qui s’est mis en tête d’émigrer et qui, avant de partir pour toujours, décharné au hasard son patrimoine.

Une ordonnance royale rendue en 1767 encourageait les cultivateurs français à défricher le plus possible de bois taillis. Le parlement de Provence proteste avec raison, faisant observer que telle mesure, utile dans les plaines de la Beauce, est détestable sur les flancs à pente rapide des Alpes méridionales et il atténue un peu la portée des règlemens en ce qui concerne son