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triste silhouette jetait une ombre morose dans les réunions parlementaires, dans les cercles et les salons parisiens, se dédommageait de sa discrétion taciturne en observant et en recueillant tous les détails de nature à l’intéresser. On sait qu’à la façon des reporters américains, le prince Clovis mentionnait parfois d’un coup de crayon rapide sur ses manchettes le trait ou le mot qu’il voulait conserver. Doué d’ailleurs d’une mémoire excellente, et fidèle à l’habitude de rédiger un journal exact de sa vie, il ne laissa point passer un jour, depuis son entrée aux affaires, sans avoir mentionné tout ce qui avait pu le frapper. Plus d’un de ses interlocuteurs ne soupçonnait pas que cet homme d’Etat blasé, morne ou indifférent, l’œil distrait, la lèvre morte, l’écoutait attentivement et gravait en son esprit, si cela en valait la peine, les souvenirs éveillés par ses subtiles et concises interrogations.

Le 31 mars 1901, le prince de Hohenlohe qui, à l’automne précédent, avait donné sa démission de chancelier, prit à partie docteur Frédéric Curtius, président à Strasbourg du directoire de l’Eglise de la conférence d’Augsbourg, et lui posa cette question : « Voulez-vous m’aider à écrire mes Mémoires ? » Frédéric Curlius accepta. Le prince lui confia alors son intention d’employer ce qui lui restait de jours à mettre ses notes et ses documens en ordre. Il comptait les rassembler en son château de Schillingsfürst et invitait le docteur à y séjourner un mois chaque été pour les étudier et dresser un plan de publication. Au cas où la mort le frapperait à l’improviste, son fils cadet, le prince Alexandre, président supérieur de la Haute-Alsace à Colmar, devrait se mettre en rapports avec Curtius pour cet important travail.

Trois mois après, le 6 juillet, le prince Clovis mourait aux eaux de Ragatz et le prince Alexandre avait pour devoir d’exécuter les volontés de son père. Celui-ci aurait peut-être, en révisant lui-même ses papiers, ravivé ses souvenirs et reconstitue fidèlement sa propre biographie. Maintenant, il n’y avait plus qu’à livrer à l’impression, dans la mesure où cela était convenable, les notes manuscrites laissées par lui. Elles comprenaient un journal complété par des brouillons, des lettres et des copies de rapports. Quant à la forme homogène que l’auteur aurait sans doute donnée à tout cela, il n’y fallait plus penser. L’éditeur était réduit à placer sous les yeux du lecteur les documens originaux tels quels, sans autres éclaircissemens que des