mutuelle, celle des Frères, enfin l’école communale supérieure. Et c’est tout. Je me trompe. Même revenu au plâtre, le goût de l’étude l’avait suivi. Il était liseur ; il dévorait. Il a conté lui-même, en gentils vers, qu’il dévalisait les bouquinistes du quai. Ses économies d’apprenti passaient au Magasin pittoresque. Il s’enchantait de poésie ; il griffonnait des vers. Le médecin de la famille, Ortolan, en découvrit sur la table en cherchant du papier pour faire une ordonnance : il questionna le jeune homme, l’encouragea, l’aida à se faire imprimer. Poncy, qui devait plus tard s’achalander, s’enrichir, devenir fonctionnaire de la Chambre de Commerce et laisser une belle fortune, était alors un adolescent pauvre, ardent et ingénu : couturé de petite vérole au point d’en être presque défiguré, il attirait par ses yeux intelligens et chauds. Il aimait une belle jeune fille de son rang, qui lui rendait sa tendresse, et qu’il épousa après le succès éclatant du livre où il l’avait chantée : à eux deux, en 1843, ils avaient quarante ans. Elle répondait au nom de Désirée, un nom de roman ; et tout paraissait romanesque dans cette aventure, et rien n’y manquait de ce qui pouvait ravir une George Sand, la fougueuse démocrate, l’admiratrice de Lamennais, l’ « élève, » comme elle se disait alors, de Pierre Leroux.
Aussi avait-elle assumé, et de quel élan ! la charge morale de l’ouvrier poète. Ce talent naissant, elle voulait l’amplifier et l’affermir ; ce caractère aimable, le viriliser ; cet esprit curieux, le meubler, l’ouvrir, le féconder ; ce goût parfois douteux, l’épurer. Surtout, il fallait mettre cette âme fragile en garde contre les séductions de la flatterie et lui répéter sans cesse : excelsior, en lui montrant le but, à savoir l’homme du peuple idéal. Grande tâche, à laquelle elle se dévoue avec son énergie coutumière, secondée d’ailleurs par la nature très réceptive de Poncy :
« Mon cher Poncy[1], il faut plaindre profondément et non pas condamner ceux qui ne voient pas cette lueur céleste pointer à l’horizon de l’humanité. Voyez comme ils sont malheureux, ces hommes dont plusieurs ont de la droiture et de la bonté dans leur aveuglement, de ne pas apercevoir dans un avenir prochain l’issue providentielle de l’abominable société où nous languissons. Quelle souffrance pour les cœurs honnêtes, de voir régner dans toutes les institutions, dans les préjugés, dans les
- ↑ Toutes les citations qui ne portent pas de renvoi à la Correspondance imprimée sont empruntées aux lettres inédites.