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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/696

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l’impartialité qu’apporte le recul du temps, il semble bien que Piero, par ce mouvement spontané, — peut-être intéressé, — a sauvé la Toscane de la guerre et des massacres ; il a été le meilleur politique du moment, celui qui se plie aux circonstances qu’il sait ne pouvoir dominer : et l’on peut le relever de cette accusation de trahison, avec laquelle les peuples malheureux sont toujours prêts à rejeter leurs fautes sur leurs dirigeans.

Cette conversation dura longtemps ; puis, tous deux remontèrent à cheval, au milieu de leurs brillantes escortes, et d’une de ces pompes comme les Florentins excellaient à en organiser. Ils descendirent la pente qui dévale vers la porte Romaine, pendant qu’à ce spectacle de fête s’ajoutait celui, plus imposant encore, de Florence étalée à leurs pieds, dans l’encadrement splendide de ses douces collines, offrant aux yeux ses monumens, sa Seigneurie et son Dôme, baignés de lumière d’or, dans des fonds d’azur semblables à ceux des enluminures auxquelles se plaisait tant la fantaisie artistique du neveu de Pie II. Mais cette terrible nouvelle l’avait tellement consterné qu’une douloureuse préoccupation se lisait sur sa figure, et que toute cette magnificence de la nature et du peuple en fête n’avait plus, à ce moment, le moindre charme pour lui[1].

Le cardinal passe la nuit à écrire au Pape ses embarras, et à conférer avec l’agent royal de Naples.

Le lendemain, il fut reçu pompeusement par les Prieurs dans le palais de la Seigneurie ; il avait à leur exposer les désirs de Sa Sainteté ; mais ce changement subit des événemens le force à changer lui-même la ligne de conduite si longuement combinée avec le Saint-Père[2]. Il eût voulu représenter aux Prieurs que la cause du roi Alfonse était de toute justice, que le Pape l’avait prise à cœur pour ce motif d’équité, et aussi parce qu’Alfonse était feudataire de la Sainte Eglise ; que jamais II n’abandonnerait la défense du roi de Naples, et qu’il aimerait mieux perdre l’État, — le cardinal le tenait du Pape lui-même[3], — et la tiare, et quitter l’Italie, vivre en exil, mourir même, que de céder sur ce point ; qu’au reste, quelque puissant que fût le

  1. Lettre du cardinal, Florence, 29 octobre 94.
  2. Même lettre.
  3. Cette déclaration fut faite en propres termes par le Pape, devant les cardinaux réunis, au cardinal Ascanio Sforza, envoyé par le roi de France pour engager le Pape à rester neutre dans son différend avec le roi de Naples.