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s’adressait moins à sa personne qu’à la satisfaction donnée à l’opinion publique par l’élévation de Turgot au contrôle général. C’est à ce choix, c’est au « philosophe homme d’Etat » dont on attendait des merveilles, — la rénovation du royaume par la destruction des abus et l’accomplissement des réformes, — qu’allait, par-dessus la tête de Maurepas, l’ovation populaire. Jamais accession au pouvoir n’avait suscité tant de joie et de si grandioses espérances.

Le nouveau poste dont Turgot devenait titulaire lui fournissait, en effet, le moyen de donner sa mesure. C’était, à cette époque, le plus important sans conteste de tous les ministères, celui auquel ressortissaient plus ou moins tous les autres. Car le contrôleur général n’était pas seulement l’homme préposé au Trésor public, chargé de percevoir l’impôt, de surveiller l’emploi des fonds et de les répartir parmi les différens services, mais il tenait encore en mains, par mille fils mystérieux, l’administration générale du royaume, et, du centre, son influence rayonnait sur toutes les provinces, par le privilège qu’il avait de communiquer directement avec les intendans, de leur transmettre, en les interprétant, les ordres du pouvoir suprême[1]. La gravité croissante, dans le cours du XVIIIe siècle, du problème budgétaire avait ainsi fait peu à peu, pour emprunter l’expression d’un écrivain du temps, « du chef de la finance la vraie providence de l’Etat. »

Ce rôle difficile et glorieux, l’homme qui en recevait la charge plus que tout autre y semblait préparé par ses études, par ses dispositions d’esprit, par les étapes de sa carrière, comme aussi par le sang qui coulait dans ses veines. « C’est une bonne race, » disait Louis XV en parlant des Turgot. Tout justifie cette appréciation royale. Sans discuter, comme certains biographes, si les Turgot descendaient d’un roi de Danemark et se rattachaient au dieu Thor[2], il est tout au moins établi que cette famille normande occupait, de longue date, un rang prééminent dans l’administration et la magistrature. Le père du ministre de Louis XVI, Michel-Etienne Turgot, avait rempli avec honneur les multiples fonctions de conseiller d’Etat, de prévôt des marchands

  1. Voyez sur ce sujet le livre intéressant de M. P. Ardascheff : Les intendans de province sous Louis XVI.
  2. « Turgot, affirme Condorcet, signifie le Dieu Thor — Thor gott — dans la langue des conquérans du Nord » (Vie de Turgot, par Condorcet).