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pays au cours du dernier siècle, iront peu à peu en diminuant, et nous ne rechercherons pas si ce sera un mal en soi ; on peut différer d’avis sur ce point ; mais ce sera à coup sûr une transformation profonde qui influera inévitablement sur le caractère national. Nous avons dit, à propos du budget de M. Lloyd George, qu’il n’était pas sans analogie avec celui de M. Caillaux et surtout avec le système d’impôt sur le revenu de ce ministre. Dans les deux cas, en effet, le procédé fiscal est le même : il consiste à faire payer par quelques-uns, par une infime minorité, les impôts qui devraient être payés par tous. Mais si le procédé est le même, les conséquences en seront, ou en seraient différentes dans les deux pays. En Angleterre, elles diminueraient, ou même, dans un temps, détruiraient les grandes fortunes ; en France, où les grandes fortunes sont une exception devenue rare, le poids tomberait sur les fortunes moyennes. D’où il suit qu’en Angleterre les projets de M. Lloyd George porteraient atteinte à l’influence d’une aristocratie qui se recrute dans la fortune acquise et y puise une force sans cesse renouvelée, tandis qu’en France les projets de M. Caillaux diminueraient et, à la longue, détruiraient l’esprit d’économie qui est notre caractère, à nous, et qui nous maintient dans le monde, en dépit des accidens de notre politique, une force avec laquelle tout le monde compte. L’œuvre que M. Lloyd George poursuit en Angleterre est déjà presque faite en France : plus tard, par le développement du même procédé, un autre que lui accomplira sans doute en Angleterre l’œuvre néfaste que M. Caillaux a entreprise chez nous.

Nous n’analyserons pas le budget de M. Lloyd George : ce soin revient à un de nos collaborateurs qui, plus versé que nous dans les questions économiques et financières, donnera prochainement à nos lecteurs une étude sur ce sujet. M. Lloyd George avait à combler un déficit de plus de 400 millions, tâche difficile à coup sûr. Il prélève 75 millions sur le fonds d’amortissement, augmente de 167 les contributions indirectes et de 187 les contributions directes. Les trois quarts des impôts nouveaux pèseront sur l’aristocratie terrienne ou industrielle : les grands industriels qui fabriquent, par exemple, de la bière auront à supporter sur leurs usines des surcharges extrêmement lourdes. Mais les taxes principales grèveront les propriétés foncières, y compris celles qui ne sont pas exploitées. Une des taxes qui ont paru le plus exorbitantes est celle qui doit frapper de 20 pour 100 la plus-value d’une propriété, constatée au moment d’une mutation. Les droits de succession seront augmentés dans des proportions énormes. Des protestations très vives se sont élevées ; elles n’ont pas été inutiles.