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l’amour de la liberté ! Elle n’a pas de petit garçon… Les mères, seules, savent tout ce que représente de souffrance, de fatigue, de longs soins, cette créature précieuse : un petit garçon… Je dis encore :

— Vous êtes contente lorsqu’un de ces pauvres gens va mieux, qu’il est sauvé, un peu par vous ?

— Très contente… Mais, enfin, ces gens, je vous le répète, ils étaient venus pour mourir.

— Est-ce que vous avez soigné aussi des réactionnaires ? Les beaux yeux noirs se durcissent :

— Non. J’avais le choix, puisque j’étais venue librement. Je n’ai soigné que les bons.

O petite Sélika, vaillante et charmante, qui mourriez tout à l’heure, comme un soldat, si votre mort assurait le triomphe de la Constitution, petite Sélika que j’admire, vous ne soupçonnez pas quel abîme il y a entre nous. Aucune femme chrétienne, — non pas même croyante, mais chrétienne d’origine et d’éducation, — ne se souviendrait qu’il y a des bons malades et des mauvais malades.

Nous avons entrevu, rapidement, le pavillon des enfans, presque dépeuplé. L’heure avance. Ibrahim Pacha nous attend, sur le perron, avec son photographe. Encore des complimens, encore des discours, et la promesse de nous revoir tous les uns les autres.

— En France ! — dit Sélika. — Oh ! j’irai en France…

Affectueuse, douce, appuyée à mon épaule comme une petite sœur, elle me dit :

— Vous parlerez de moi, dans vos articles ?

C’est fait. Peut-être ne se reconnaîtra-t-elle pas dans ce portrait hâtif que j’ai tracé d’elle, avec tant de sympathie et aussi tant de sincérité, à défaut de clairvoyance parfaite[1].


M. Bareille dit, avec douceur :

  1. Au moment de publier ces notes, je reçois une petite lettre de Mlle Sélika Osman Pacha. « Ma chère dame, depuis longtemps je désire vous écrire, malheureusement, toujours il y a un empêchement ; je ne sais si vous avez oublié la petite garde-malade volontaire qui vous avait fait visiter l’hôpital et s’était fait photographier avec vous. Les blessés sont guéris. Moi aussi j’ai quitté l’hôpital. Maintenant, nous ferons une société du Croissant rouge. On donnera des leçons de garde-malade, car le devoir d’une dame patriote est de secourir les blessés de guerre et de venir en aide à l’humanité souffrante… Sélika, fille de feu Osman Tacha, membre du Croissant rouge. »