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le monde. La religion est un grand manteau qui met bien des fourbes à couvert. » Quelques semaines après (28 septembre), il annonce à son ami la découverte de la conspiration où se matérialisait ce danger dévot : « cette congrégation du Saint-Sacrement, » — il la nomme en toutes lettres, — « qui ne fait jamais ses réunions au même endroit, » qui a « des intelligences avec la même confrérie à Rome, » qui « a dessein d’introduire l’Inquisition en France[1] », et que l’on accuse, comme à Bordeaux, de « mettre le nez dans le gouvernement des maisons et d’avertir les maris des débauches de leurs femmes[2]. »

En même temps, les « Supérieurs » d’État ou d’Église entendaient l’appel que le réquisitoire de Caen leur adressait. Plusieurs évêques (trois au moins, dont l’archevêque de Rouen, François de Harlay) délibéraient en conférence secrète sur cette illégale confrérie, et, en attendant de présenter à l’Assemblée du clergé, alors réunie, les griefs qu’ils avaient contre elle, se plaignaient au Cardinal. Celui-ci, de son côté, recevait de ses informateurs politiques des rapports inquiétans sur les menées de l’un des membres de la Compagnie, le marquis de la Mothe-Fénelon, parmi la noblesse : Mazarin allait-il donc avoir, sur le bord de la tombe, encore un complot à dissiper ? A l’automne 1660, il était décidé à « surprendre, » d’un coup de filet, « tous les confrères assemblés. » Ceux-ci, avisés « de bonne part, » — Lamoignon et Anne d’Autriche elle-même, peut-être, les tenaient au courant, — se méfièrent[3]. Alors la justice fut saisie, et le Parlement de Paris informé par le procureur général que, « sous le voile de la piété et de la dévotion, il s’est introduit plusieurs assemblées, congrégations et communautés dans plusieurs endroits de cette ville, notamment sur les paroisses Saint-Eustache, Saint-Sulpice, faubourg Saint-Jacques et Saint-Antoine, » et que, de plus, « en un lieu appelé le Refuge Saint-Paul, se sont trouvées plusieurs femmes et filles détenues sans aucun ordre de justice. » Le 13 décembre 1660, un arrêt de la Cour[4]« fit

  1. Lettres choisies, éd. de Rotterdam de 1725, t. II, p. 123. Cf. la lettre du 19 octobre 1660.
  2. Guy Patin assure même que si la « cabale » a été mise au jour, c’est qu’un mari, fâché d’être averti, a tout su et tout dit.
  3. Voyez l’importante circulaire envoyée dès le 8 octobre, par la Compagnie de Paris à ses succursales de province dans notre publication sur la Compagnie secrète du Saint-Sacrement. Paris, Champion, 1908, p. 113, 114.
  4. Arch. nat. Reg. du Cons. secret du Parlement (V1°, 8392, f° 212 v° et 213).