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simplicité, dans la tendresse et la mélancolie du sentiment ou de l’éthos, ils ont, ces chants, je ne sais quoi de vraiment nôtre, de familier et de prochain. Savez-vous à quels autres chants ils ressemblent ? M. Pierre Aubry ne craint pas de le dire et nous pouvons, à chaque page, à chaque ligne musicale de son livre, nous en assurer : l’art, ou le genre, qui rappelle le mieux celui des trouvères et des troubadours, c’est notre opéra-comique. Rien n’est moins éloigné des romances de nos pères que les romances de nos premiers aïeux. Lisez telle chanson de « mau-mariée, » ou la célèbre ballade A l’entrada, du chansonnier de Saint-Germain-des-Prés, ou la chanson d’aube, exquise entre toutes, de Guiraut de Borneilh. Vous vous demanderez, comme le héros justement d’un opéra-comique, écoutant lui-même un refrain de ménestrels : « Où donc ai-je entendu cet air ? » Vous avez entendu, sinon celui-là, du moins quelques-uns de même sentiment, de même race et de même famille, dans les aimables chefs-d’œuvre de l’opéra-comique français. Par une étrange divination, le Grétry de Richard Cœur de Lion, le Boieldieu de la Dame Blanche et des Deux Nuits ont mis sur les lèvres de leurs trouvères de théâtre, des chansons pour ainsi dire authentiques ou « ressemblantes. » Ainsi les maîtres du genre que souvent on accusa d’être le plus factice, le plus faux, ont trouvé des accens dont l’histoire et la science attestent aujourd’hui la justesse et la vérité.

Remercions l’auteur de ce livre, et rendons-lui plus d’une action de grâces. Érudit, artiste, patriote, il a trois fois mérité notre reconnaissance. Il a établi ou rétabli la continuité d’un art national. Il a renoué, je ne dirai pas une chaîne, le mot serait trop lourd, mais une guirlande légère. Ayant montré dans la poésie et la musique des trouvères comme un arbre mélodieux qui fleurit autrefois sur la terre de France, il a fait voir aussi qu’après des siècles écoulés une dernière tige en avait pu naître et porter encore les mêmes fleurs.


CAMILLE BELLAIGUE.