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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/179

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épouse d’un pacha, elle avait choisi elle-même une seconde épouse à son mari, et elle avait tendrement élevé le fils de sa… coadjutrice.

Femme du passé, elle aussi, cette seconde épouse qu’aucune jalousie n’a effleurée et qui demeure, à quarante-cinq ans, si déférente pour la hanoum décrépite, et vit à l’aise dans son ignorance, comme dans les larges robes où flotte son corps amolli.

Ces deux femmes ont vécu heureuses parce que leurs désirs et leurs besoins étaient conformes à la loi qui réglait leur vie. Et leur bru commune, la pâle jeune femme aux yeux toujours baissés, est heureuse aussi. Sa maison, son petit jardin, bornent ses rêves. Elle n’a jamais lu les livres « où l’amour est écrit. » Soumise à son époux débonnaire, elle n’a pas besoin de savoir « comment aiment les autres hommes. »

Femmes du passé… Il y en a des milliers et des milliers comme celles-là, en Turquie, des créatures toutes simples qui ne souffrent pas du tout d’être voilées, séparées des hommes, mariées à des inconnus ; qui végètent dans une douce apathie, mangent des confitures, fument des cigarettes, bavardent ou prient, suivant les heures.

Mais parmi celles-là, les plus jeunes sont déjà inquiètes. Elles n’exigent rien, elles ne se plaignent pas ; pourtant, elles sortent de leur passivité séculaire et demandent, timidement, un peu plus d’instruction. Elles s’éveillent à la foi patriotique. Telles les charmantes institutrices d’Andrinople qui souhaitent « faire quelque chose pour la pauvre Turquie. »

Et, plus haut dans l’échelle sociale, il y a les femmes à demi instruites, qui ont pris conscience de leur dignité et qui souffrent de leur situation inférieure. Ces femmes appartiennent au passé par leur éducation et leur mode de vie, mais toutes leurs pensées vont à l’avenir… Impatientes du joug ancien, elles regardent sans cesse du côté de l’Europe… Et il y a aussi les femmes plus jeunes, élevées tout à la franque, celles qui n’ont jamais eu, même dans leur enfance, le vieil idéal héréditaire, celles qui sont devenues sceptiques et révoltées, dès leur premier tcharchaf.

Ah ! certes, il faut les plaindre, celles-là, ces Turques de l’heure présente, qui ne comprennent plus le langage de leurs aïeules, et qui ne trouvent pas, sans difficultés, des maris appariés à elles. La culture qu’elles ont reçue leur a fait des âmes