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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/185

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N’est-ce pas un enclos perdu dans un coin de province méridionale, sanctifié par le chant des cloches, la prière des petites filles sages, la présence des religieuses noires et blanches comme les hirondelles du bon Dieu ? Entre les parterres candides, les allées pas très larges sont semées de cailloux si nets et si jolis qu’on les croirait tombés des poches du Petit-Poucet. Les géraniums grimpent, s’étagent, forment des reposoirs que dominent saint Joseph avec son lys, saint Jean avec son agneau. La maison entr’ouvre ses fenêtres sur les parloirs intérieurs, que remplit un clair silence, et, devant le perron, trois prêtres à grande barbe, et la mère supérieure des Dames de Sion regardent la sœur jardinière qui circule, arrosant les lauriers en pots.

C’est la France… Non : le ciel trop bleu ne prend pas ces nuances de perle qui enchantent nos crépuscules. Derrière la porte entre-bâillée, dans la rue sonore, passent des voitures bizarres et peintes, des hommes vêtus de cotonnades bariolées, coiffés du fez ou du turban. Et le bruit qui monte de la ville est fait du lent soupir de la mer, du frisson des cyprès, de cent mille voix grecques, syriennes, turques.

J’ai cru retrouver mon pays et des images de mon enfance. Mais je me rappelle les épisodes de l’aventureux voyage, et que je suis venue hier vers vous, Smyrne d’Asie ! Cité des roses, des figues, des tapis somptueux, vous gardiez, comme un lys aux plis somptueux de votre robe, ce petit couvent français, de Notre-Dame de Sion. Dût-on m’accuser du plus néfaste cléricalisme, je dirai le charme de cette découverte et l’hospitalité si franche, si cordiale, de mes compatriotes en soutane et en cornette. Le plus farouche socialiste serait désarmé par leur bonne grâce courageuse et leur belle humeur. Comme mon sexe et mes goûts m’interdisent les passions politiques, je me trouve fort à mon aise parmi eux, d’autant plus qu’ils m’ignoraient tout à l’heure, et qu’ils n’ont pas lu mes livres, et qu’ils ne les liront jamais.

Nous allons visiter les classes… Les petites demoiselles, qui se tiennent toutes droites devant leurs pupitres, ne baissent pas leurs yeux noirs, d’un air faussement timide. Elles sont jolies presque toutes, avec des visages ronds, un peu pâles, des cheveux brillans, et ces larges prunelles veloutées des Grecques d’Asie qu’on voit dans les portraits en mosaïque du IVe siècle. Elles apprennent notre langue qui devient presque leur langue, notre histoire, un peu de notre littérature, et la plus grande, qui, je