Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prouvé d’une manière démonstrative, sa mort a été une faute politique, mais cette faute n’est pas sans excuses. Nous ignorons si Ferrer a été justement condamné ; en tout cas, il l’a été légalement, et les membres du Conseil de guerre ont jugé suivant leur conscience, après avoir observé toutes les formes de la justice militaire. Par malheur, ces formes ont, en Espagne, quelque chose d’archaïque dont nos esprits, amoureux de clarté, ont de la peine à se contenter. Le secret de l’instruction judiciaire, l’absence de débat contradictoire après audition de témoins dans le procès public, tous ces procédés d’un autre âge laissent de l’incertitude et de l’angoisse au cœur. Si les preuves de la culpabilité de Ferrer n’ont pas manqué aux juges, eux seuls les ont connues, l’opinion les a ignorées. Ce que les journaux ont reproduit de l’acte d’accusation ne nous en a rien dit, et, à parler franchement, les faits mêmes sur lesquels l’accusation reposait n’ont pas paru avoir un caractère incontestablement criminel. Mais la procédure des conseils de guerre espagnols a été appliquée à d’autres qu’à Ferrer sans que personne s’en soit ému. Pourquoi cette exception pour lui ? Est-ce parce que, à la suite d’exécutions nombreuses, une dernière goutte de sang a fait déborder le vase ? Non assurément, car on n’a fusillé en tout, à Barcelone, que cinq personnes, et on ne peut pas dire que ce soit une répression excessive après les odieux attentats dont cette ville a été le théâtre. Le gouvernement espagnol avait le droit de se croire modéré. La seule explication à donner de l’émotion quasi universelle que sa mort a causée, est que Ferrer avait de nombreux amis à l’étranger, que ces amis ont attiré l’attention sur son cas avec une mise en scène très habile, qu’ils ont surexcité et entraîné violemment l’opinion, et que leur succès a peut-être dépassé leurs espérances.

Il est trop tard pour raconter les manifestations de Paris ; tout le monde en a lu le récit dans les journaux. Nous éprouvons de la confusion à penser qu’il a fallu protéger l’ambassade d’Espagne ; mais enfin on l’a protégée d’une manière efficace, et le flot de l’émeute a été arrêté et refoulé à une distance convenable. Nous parlons ici de la première manifestation ; la seconde, qui a mis en mouvement une foule beaucoup plus considérable, a eu un caractère plus inoffensif ; elle a consisté seulement en une promenade à travers Paris de cinquante mille personnes, dit-on, soigneusement encadrées par la troupe. Dans les deux cas, la police a rempli tout son devoir. M. Lépine a montré une fois de plus le courage et le sang-froid dont il est coutumier. On sait qu’un coup de feu, tiré sur lui à bout portant, lui a brûlé la