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figure. Un agent de police a été tué, un autre grièvement blessé : quant aux émeutiers, ils se sont tous tirés sains et saufs de la bagarre sanglante qu’ils avaient provoquée. Des manifestations du même genre ont eu lieu dans d’autres pays, notamment en Italie. Les pays latins paraissent avoir été plus agités que les autres par la mort de Ferrer, peut-être parce qu’ils ont l’émotion plus facile et l’impulsion plus prompte. Tout ce mouvement s’est arrêté au bout de quelques jours. Le bureau du Conseil municipal de Paris ayant proposé d’attribuer à une rue le nom de Ferrer et de prendre ses petits-enfans à la charge de la Ville, sa proposition a été repoussée par la majorité, et il a donné sa démission comme un simple ministère. On s’était déjà ressaisi, soit parce que la violence des premiers sentimens s’était épuisée, soit plutôt parce que, lorsqu’ils ont regardé du côté de l’Espagne, nos manifestans se sont aperçus que l’agitation fiévreuse qu’ils se donnaient, bien loin de provoquer une impression communicative, embarrassait leurs amis et laissait le pays très froid. C’est une chose curieuse à remarquer que la mort de Ferrer, qui a causé tant d’émotion en deçà des Pyrénées, n’en a causé presque aucune au-delà. En général, un peuple n’aime pas qu’on se mêle de ses affaires intérieures, et le peuple espagnol l’aime encore moins que tout autre. Les sommations injurieuses que nos révolutionnaires, et même nos socialistes et nos radicaux, ont adressées au gouvernement de Madrid pour lui enjoindre de gracier Ferrer ont très mal servi la cause de ce malheureux. Loin de porter le gouvernement à la clémence, ces menaces l’ont détourné de céder à l’intimidation.

Les Cortès se sont réunies. Dans des circonstances analogues, il y aurait eu tout de suite chez nous des interpellations et des discours extrêmement passionnés. Il y a eu aussi une interpellation en Espagne, mais les passions ne s’y sont pas déchaînées tout de suite, et peut-être même ne l’auraient-elles pas fait du tout si le gouvernement ne les avait pas provoquées et attisées lui-même par l’imprudence de son langage. Pendant les premiers discours, l’opposition avait pris le parti de ne pas parler de Ferrer ; M. Moret, qui a soutenu tout le poids de la discussion, n’en a pas dit un mot ; c’est seulement à la fin que les républicains ont prononcé son nom : encore ne l’ont-ils fait que timidement. A aucun moment, la sentence rendue par le Conseil de guerre de Barcelone n’a été mise en cause, ni le gouvernement n’a été blâmé pour l’avoir laissé exécuter. Par cette réserve calculée et voulue, les orateurs espagnols ont donné une leçon de convenance à ceux qui, au dehors, avaient montré qu’ils en avaient besoin. L’opi-