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sexes et contre les obligations que cette différence entraîne : pourquoi élever les femmes autrement que les hommes, et à part, et pour des professions différentes ? Mettons-les tous ensemble au même régime, au même brouet scientifique, historique et géographique, aux mêmes exercices gymnastiques ; ouvrons à tous et à toutes également toutes les carrières, pourvu que chacun ou chacune puisse, à l’entrée, réciter son petit manuel, comme le soldat qui récite sa théorie. L’individu anonyme, insexuel, sans ancêtres, sans tradition, sans milieu, sans lien d’aucune sorte, voilà, — Taine l’avait prévu, — l’homme de la fausse démocratie, celui qui vote et dont la voix compte pour un, qu’il s’appelle Thiers, Gambetta. Taine, Pasteur, ou qu’il s’appelle Vacher. L’individu finira par rester seul avec son moi, à la place de tous les « esprits collectifs, » à la place de tous les « milieux professionnels » qui avaient, à travers le temps, créé des liens de solidarité et maintenu des traditions d’honneur commun. Ce sera le triomphe de l’individualisme atomiste, c’est-à-dire de la force, du nombre et de la ruse.

À l’encontre de cet individualisme outré, la science sociale soutient qu’un certain mode d’éducation hiérarchique, ayant pour but la sélection d’élites à divers degrés, peut seul entretenir les différens organes de la vie nationale, maintenir tous les groupemens et milieux nécessaires aux diverses fonctions de cette vie, à leur division et à leur solidarité, faire ainsi triompher la conception organique de la société sur la conception purement contractuelle et atomique, empêcher l’universelle pulvérisation de ce grand corps qui est la patrie.


III

Sur le domaine de l’éducation, la démocratie socialiste partage d’ordinaire les erreurs de la démocratie individualiste, mais les aggrave en voulant supprimer la liberté de l’enseignement. Le plus grand danger des démocraties populaires, c’est l’atteinte aux diverses libertés, notamment à celles de l’ordre intellectuel et moral. Ce danger vient de ce que le peuple ne peut pas sentir le prix de libertés qui lui sont à peu près inconnues et dont il n’a pas lui-même l’occasion de faire usage. Qu’est-ce que la « liberté de penser » pour celui qui n’a rien à penser, n’a jamais pensé et ne peut rien penser ? Qu’est-ce que la liberté des