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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/332

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opinions philosophiques pour celui qui ne sait même pas ce qu’on entend par philosophie ? Qu’est-ce que la liberté de l’art pour celui qui n’a rien qu’un sens grossier de l’agréable ? Il comprendra la liberté des cafés-concerts et des danses lascives, mais comment s’intéresserait-il à la liberté des œuvres d’art sérieuses et savantes, qui le dépassent. Et la liberté de parler, pour celui qui est incapable de prendre la parole dans une réunion et qui, d’ailleurs, ne veut pas écouter ceux qui ne sont pas de son avis ? On a toujours vu le peuple applaudir aux coups d’État supprimant la liberté des orateurs et des écrivains. Pourvu que le paysan ait son Petit Journal où se lisent des aventures de Rocambole, que lui importe, pour le reste, la liberté de la presse ? On ne sent le prix que de ce qu’on possède réellement, non de ce que les autres possèdent sans que vous-en puissiez user pour votre part.

Aussi M. Menger, socialiste lui-même, élève-t-il des doutes sur le souci que, dans une démocratie socialiste, les prolétaires auraient de l’indépendance et de la liberté des intellectuels. Ce qui ne l’empêche pas, dans son plan d’État socialiste, de supprimer une multitude de libertés, y compris celle d’enseigner la littérature antique, qu’il accuse de tous les méfaits antisocialistes. À ce sujet, on a rappelé que Bastiat, au contraire, accusait les lettres anciennes et le baccalauréat de tous les méfaits socialistes. Peut-être l’étude de l’antiquité fait-elle défaut à M. Menger comme à Bastiat.

Les libertés de la pensée, de la parole et de la publication, si essentielles sous la démocratie, ont pour complément indispensable la liberté de l’enseignement, sous les communes garanties de capacité et de moralité. Les partisans du monopole de l’État objectent : — L’enfant a droit à la vérité. — Mais qui donc a le droit de se dire la vérité ? Il n’existe que des opinions humaines sur la vérité, et ces opinions doivent pouvoir être librement contestées.

Dans les questions d’enseignement, trois droits sont en présence : celui de l’enfant, celui de la famille, celui de l’État. L’enfant a droit à une certaine portion minima du capital intellectuel et moral de la nation. Ce minimum est celui qui lui est nécessaire pour être vraiment un homme civilisé parmi des hommes civilisés, un citoyen parmi des citoyens. L’État démocratique, d’autre part, a le droit et le devoir d’exiger de tous le minimum de connaissances scientifiques, morales et civiques, nécessaire pour exercer les droits de citoyen, y compris le droit