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Le succès fut si rapide que l’auteur a peine à se l’expliquer à lui-même. Deux éditions furent enlevées en un jour, et Londres apprit en vingt-quatre heures le nom d’Israël Zangwill qui, depuis six ans, s’épuisait en efforts inutiles et sollicitait son attention sans l’obtenir. L’éditeur eut une de ces idées qui viennent toujours en pareil cas : donner un pendant à ce premier succès. Après le club des vieux garçons, le club des vieilles filles. Généralement, la spéculation ne réussit pas. Cette fois elle fut assez heureuse. Le jeune écrivain se retourna prestement et déploya, dans l’œuvre parallèle, des qualités différentes.

Le premier volume, — en vertu de sa conception première, — excluait la femme. Dans le second elle triomphait ; elle s’étalait avec une irrésistible séduction et une adorable impertinence. Il en est des romanciers comme des peintres : quelques-uns, seulement, par un don de nature, font sentir à l’esprit ou aux yeux la présence d’une jolie femme, le charme, le contact, ’odore di femina. M. Zangwill avait ce don-là et son Club des vieilles filles est, peut-être, avec les Dolly’s Dialogues, le livre qui donnera le mieux la note à ceux qui chercheront un jour ce qu’a été la femme anglaise vers 1890. En effet, toutes ces prétendues « vieilles filles » sont jeunes et jolies. Elles ont renoncé au mariage pour des raisons aussi peu sérieuses que les célibataires du Bachelors’Club. L’une veut s’épargner le souci de gouverner une maison parce qu’elle a vu sa mère mourir à la peine ; l’autre est aimée d’un homme de génie, mais, comme elle a du génie elle-même, elle n’entend pas être éclipsée par son mari ; une troisième a deux amoureux entre lesquels elle ne peut se décider, car toutes les épreuves auxquelles elle les soumet aboutissent à un dead heat ; une quatrième ne prendra pour époux qu’un homme absolument affranchi de toutes les routines, de tous les préjugés sociaux, et cet homme-là, est-il besoin de le dire ? ne se marie pas. Ainsi de suite. On devine que toutes ces résolutions fantaisistes finissent par s’évanouir. Le club n’a été qu’un projet et ne se condense jamais en une réalité. La soirée d’ouverture est remplacée par un bal de noces où toutes les héroïnes figurent au bras d’un époux. Si un roman qui s’achève par un mariage a de grandes chances de plaire aux lectrices anglaises, combien ces chances n’étaient-elles pas multipliées en faveur d’un volume qui, à la dernière page, mariait tout le monde ?