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frémissante qu’elle fût, non !… Comme toujours, ajoute-t-il, nos relations ne sont pas ce que le monde dit ! »

Eugénie reste muette sur les attraits physiques de son amie, mais nous renseigne en revanche sur les dispositions morales de cette « enfant au cœur de feu, » qui sent s’agiter dans son sein deux âmes antagonistes : l’une convaincue de l’inanité des plaisirs mondains, les méprisant, soupirant après un bion inconnu ici-bas ; l’autre, esclave du monde, pleine de vanité, hère de ses succès, recherchant toutes les jouissances et préférant enfin le plaisir à l’ennui. A cette imagination ardente, à ce cœur fiévreux qui a « tant d’orages et tant de battemens de trop, » Mlle de Guérin offre pour remède le dictame de son maître François de Sales, l’Introduction à la vie dévote : c’est le premier livre qu’elle place entre les mains de Marie. Mais celle-ci est l’admiratrice du mystique, du préromantique Pascal et cherche à lui gagner son amie : il n’est pas d’opposition plus instructive et qui révèle mieux le contraste de leur caractère. Ajoutons qu’Eugénie, directrice parfois sévère, a souvent des paroles émues pour dire combien la baronne est aimable, bonne, attachante, et d’esprit distingué.

Barbey de son côté tracera douze ans plus tard ce portrait intellectuel de Mme de Maistre : « Grand cœur, grand esprit, défauts aimables, naturel inouï qui lui donne la réputation d’une teinte d’excentricité parmi les affectés du faubourg Saint-Germain, qui ne se doutent pas de la nature du naturel : vanité plus grande que l’esprit qui est fort grand, mais vanité ronde et bien tournée dans laquelle il n’y a pas d’angles aigus ; bonté sans fond comme le ciel, compatissance toujours prête ; plus infatigable faculté de pleurer avec des yeux de feu qui seraient la gloire d’une infante, et belle gaîté pourtant à rires fous : une vraie femme, voilà la baronne ! » On sait ce que les moralistes romantiques à la façon de Barbey appellent le naturel en matière de conduite : c’est la fantaisie librement obéie ; c’est précisément ce qu’Eugénie instruite à l’école du renoncement combattait, — et goûtait aussi peut-être par effet de contraste, — dans l’âme sans discipline, mais non pas sans séduction, qui vint se jeter inopinément au travers de sa vie, enfin ordonnée après vingt années d’effort. L’eau et le feu, pour employer une métaphore populaire, tels sont les deux élémens que vont rapprocher les relations de Maurice avec le monde parisien.