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retrouvons la même indulgence et la même douceur jusque chez ces héros des légendes « épiques » qui, partout ailleurs, mesurent volontiers leur grandeur d’âme au nombre d’ennemis qu’ils ont tués de leur main. Voici, par exemple, qu’un jeune homme inconnu se présente devant le roi Conn, et lui offre de protéger son royaume contre l’assaut implacable d’un magicien qui, tous les ans, anéantit villes et villages par un enchantement mystérieux ! Et lorsque le royaume est enfin délivré, l’héroïque jeune homme se fait connaître : il est Finn, le fils du prince qu’a traîtreusement assassiné, naguère, Gaul Mac Morna, le ministre du roi. Et le roi partage son trône avec son sauveur, et Gaul Mac Morna s’incline devant celui-ci et lui rend hommage, et devient désormais son plus fidèle ami, sans que le poète ait songé un moment à tout ce qu’un tel pardon avait de pathétique et d’inaccoutumé. Ou bien, lorsque le même Finn a enfin retrouvé ce Gilla Dacker qui lui a ravi ses meilleurs guerriers, il suffit au ravisseur de lui proposer la paix pour qu’aussitôt le cœur de Finn s’émeuve de joie ; et toute la dernière partie du conte n’est employée qu’à célébrer les fêtes organisées en l’honneur de cette réconciliation qui, dans les autres « folk-lores, » aurait été tout au moins précédée d’une longue série de combats meurtriers[1].

Mais une des manifestations les plus touchantes de l’adorable « tendresse de cœur » du peuple irlandais se reconnaît dans le caractère et le rôle prêtés par lui à des esprits élémentaires, les leprachauns et les puckas, que ses contes nous font voir participant sans cesse à sa vie populaire. Ici encore, le contraste est complet entre les deux génies de l’Irlande et du Pays de Galles. Car ce dernier, lui aussi, comme toutes les races du Nord, réserve une part considérable, dans ses légendes, à toute sorte de nains habitant la terre ou les eaux ; et plus de la moitié des contes recueillis par M. Thomas sont consacrés à des exemples de la rancune implacable, ou parfois des lugubres et cruelles facéties de ces petits êtres. En Irlande, toute la malice des puckas se résume en quelques taquineries aussi inoffensives que plaisantes, soit qu’ils viennent manger le poisson de la femme d’un pécheur, ou bien qu’ils obligent les invités d’une noce a poursuivre longtemps un pudding qui s’enfuit par les champs. Et encore le pucka

  1. Il serait bien curieux, par exemple, de comparer ces récits héroïques du recueil de M. Graves avec le très remarquable volume de Contes Épiques (librairie Fischbacher) où M. Henri de Curzon nous raconte, en une belle langue toute parfumée de fraîche poésie, les sujets de quelques-unes des plus fameuses épopées nationales de l’Inde et des races du Nord.