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que « sous les espèces » de M. Delmas. J’ai beaucoup aimé les trois jeunes personnes aquatiques pour la justesse et la fraîcheur de leur voix. Alberich est mieux que passable et Mime est excellent. Médiocre a paru le décor montagneux, mais charmant le décor fluvial, où j’aurais seulement souhaité que l’or, au lieu de luire à peine, resplendît.


Tout à l’heure, en passant, nous avons nommé Charles Bordes. Cela ne saurait suffire à son mérite, non plus qu’à nos regrets. On donne, vous le savez, on prodigue même aux musiciens le titre de maître. Il en est un autre, plus humble, mais plus beau, celui de serviteur. Nous en voulons saluer ici le grand et noble artiste qui vient à peine de mourir.

Son œuvre est connue, mieux que cela, populaire. Tout le monde sait quelle part fut la sienne dans la création, puis dans la direction et le développement des Chanteurs de Saint-Gervais, cette parfaite maîtrise, et de ce Conservatoire indépendant, la Schola. Après un long et dur labeur, quand la maladie et l’infirmité le frappèrent, très, jeune encore, Bordes ne se rendit et ne se retira pas tout entier. Désormais, à de moindres travaux, il n’apporta pas moins de courage. Tout pouvait décliner en lui, hormis l’enthousiasme et l’amour. Jusqu’à la fin, avec ce double levier, il se flattait de soulever le monde. Au fait, n’était-ce pas un monde, auquel il avait rendu, naguère, le mouvement et la vie ? Que savait notre génération, du moins par expérience, des anciens maîtres de la polyphonie religieuse, les Roland de Lassus et les Palestrina, les Victoria et les Josquin de Prés, avant que nous les annonçât leur jeune précurseur ! Leurs voix heureusement, que la sienne avait réveillées, ne résonnèrent pas dans le désert. On accourut en foule, on s’émut à des accens nouveaux. Pour rétablir dans ses droits, dans sa dignité, dans sa gloire, une catégorie, — et laquelle ! — de l’idéal sonore, il avait suffi qu’un modeste maître de chapelle osât un jour étendre la main.

Que de nobles signes, le plus souvent religieux, cette main traça dans l’air ! Messes et motets, oratorios et cantates, combien de chefs-d’œuvre inconnus, oubliés, ne la vit-on pas guider et soutenir ! Rien n’échappait à l’universelle curiosité de Bordes, pas plus qu’à sa généreuse sympathie. Rien, si ce n’est lui-même, et lui tout entier, son talent d’abord, et ses intérêts bien davantage. Encore une fois il avait choisi pour devise le beau mot de Kundry : « Dienen, servir. » Ainsi, de sa mission, vraiment apostolique, le détachement fut la première