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Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 54.djvu/719

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si ému, et nous avons beaucoup de peine à croire qu’il l’ait aperçu lui-même. En réalité, il a voulu donner des gages aux radicaux et aux socialistes prêts à foncer sur lui et il a employé pour cela le plus vieux, mais le plus sûr de tous les moyens, qui était de crier à sa manière : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » Ce cri de guerre n’a pas perdu son efficacité : il suffit de le pousser pour rallier du monde autour de soi. Combien de fois n’avons-nous pas vu un ministère aux abois, ne sachant plus comment se tirer d’affaire et prêt à succomber, restaurer sa situation comme par enchantement rien qu’en criant : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! » même lorsqu’il n’y avait pas de cléricalisme, même lorsqu’il n’y avait pas d’ennemi de ce côté. Le procédé est classique, et si nous nous étonnons que M. Briand y ait recouru, c’est seulement parce qu’on attendait de lui du nouveau. Faut-il renoncer à cette illusion ? Le parti radical et radical-socialiste, en marchant l’épée haute sur M. Briand, le fera-t-il rompre et rompre encore jusqu’à ce qu’il ait été ramené à la vieille ornière et qu’il y soit tombé ? Ce serait dommage.


Parmi les travaux que M. le président du Conseil a recommandés à la Chambre comme devant suffire à son activité jusqu’aux élections prochaines, figure la loi sur les retraites ouvrières. Le Sénat en a entamé la discussion, qui ne marche pas très vite, bien qu’il s’y applique avec un grand zèle ; mais cette loi, même aujourd’hui que la Commission spéciale l’a étudiée et remaniée avec l’attention la plus sérieuse, est néanmoins si pleine d’imprévu, qu’à chaque détour de la discussion, elle apparaît sous un autre jour et que tout est à recommencer. « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, » disait Boileau : si on avait fait de son temps des lois sur les retraites ouvrières, il n’aurait pas dit vingt, mais quarante, mais cinquante fois, sans être sûr d’arriver jamais à la perfection. Ce qu’il y a de plus extraordinaire, pour ceux qui ne sont pas versés dans les mathématiques supérieures, est la facilité avec laquelle les chiffres changent, quelquefois du tout au tout, lorsqu’on les regarde sous un angle nouveau. C’est une fantasmagorie toujours mouvante. On a bien tort de croire qu’il y a quelque chose d’absolu dans les mathématiques : rien, en réalité, n’est plus flexible qu’un chiffre, si ce n’est deux, et comme il y en a beaucoup en cause dans la question des retraites ouvrières, ils plient dans un sens, ils plient dans l’autre, comme un champ de blé mûr sous le vent. Les merveilles que nous avons déjà vues, dans cet ordre de phénomènes, nous inquiètent au