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sujet de ce que coûtera la loi. Nous aurons très vraisemblablement les mêmes déceptions que pour la loi sur la vieillesse, et nous plaignons M. Cochery, ou ses successeurs, lorsqu’ils auront à trouver des ressources pour mettre en équilibre les budgets de demain, ou d’après-demain.

Car la loi sera votée par le Sénat à une forte majorité, peut-être même à une quasi-unanimité comme elle l’a déjà été par la Chambre ; ce vote est devenu une obligation politique, à la suite de toutes les promesses qui ont été faites et de toutes les fautes qui ont été commises depuis l’origine jusqu’à maintenant. La grande faute est, de la part des mutualistes, de n’avoir pas protesté tout de suite, et avec plus de rigueur, contre l’accaparement que l’État devait, par la loi sur les retraites ouvrières, exercer sur leur clientèle. Peu d’œuvres, dans ces dernières années, ont fait plus d’honneur à ceux qui l’ont entreprise que celle des sociétés de secours mutuels. Peu, par conséquent, étaient plus intéressantes que celle-là, et plus dignes d’être encouragées, soutenues, aidées. Nous sommes très loin de dire qu’il n’y avait rien à faire pour assurer des retraites aux ouvriers. On nous dispensera de rééditer ici les phrases auxquelles un pareil sujet prête abondamment : l’utilité, la nécessité des retraites ouvrières est incontestable, et l’intervention du législateur était légitime, non pas pour confisquer l’institution au profit de l’État, mais pour la consolider, l’étendre, la développer entre les mains des mutualités. L’œuvre aurait sans doute été plus lente, mais elle aurait été meilleure et moins coûteuse, et elle aurait eu l’avantage d’enseigner vraiment la prévoyance aux ouvriers au lieu de la leur imposer. Malheureusement, l’État, en France, a une tendance naturelle à étendre la main sur tout ce qui réussit et à en faire sa chose, tendance sciemment ou inconsciemment collectiviste, qui conduit toutes les initiatives privées à s’engloutir en fin de compte dans le même gouffre, ou, si l’on veut une métaphore plus noble, à se perdre dans la même mer. Seulement, ici, ce ne sont pas les fleuves qui vont à la mer, mais la mer, mais l’État qui va aux fleuves pour les absorber. Et puis, nous avons un ministère du Travail ; il faut bien qu’il justifie son existence en faisant converger à lui tout le travail national. Telles sont les causes principales qui ont agi sur cette question des retraites ouvrières, et l’ont fait peu à peu dévier du droit chemin.

Lorsque le Sénat a nommé la Commission spéciale qui devait étudier le projet de loi, il y a fait entrer une forte majorité d’adversaires de l’obligation, et cette majorité a persisté longtemps. Tout tournait,