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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/118

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Avec Michel-Ange, avec ses élèves, c’est l’antiquité, c’est le paganisme qui triomphe définitivement à Rome, qui transforme l’art de fond en comble et qui achève de détourner les esprits de l’expression des idées chrétiennes, pour les orienter vers la recherche exclusive de l’étude des formes et surtout de l’étude de la nudité des corps. Dans l’art de Michel-Ange, il est vrai, il y avait un caractère profondément dramatique et douloureux, qui provenait des terribles circonstances sociales au milieu desquelles il avait vécu. Mais ses élèves, qui ne connurent pas les grands fléaux de l’invasion des armées étrangères, qui n’avaient plus les mêmes raisons que lui pour dramatiser leur art, laissèrent tomber le côté expressif de sa pensée et ne retinrent que son amour pour l’étude des formes. Dans le Jugement dernier, dans cette œuvre sauvage, toute pleine de sanglots, Vasari ne voit que des silhouettes et des muscles. La Renaissance règne vraiment alors dans toute la logique de son esprit avec Vasari, les Zuccheri et le Cavalière d’Arpino. C’est à leur art, c’est à cette chute qu’aboutit tout ce que la Renaissance avait voulu, tout ce que Michel-Ange avait enseigné.

Ces artistes étaient d’une science vraiment extraordinaire. « Ma science perdra mes successeurs, » avait prévu Michel-Ange. Ils savent tout et ils croient ne plus avoir besoin de la nature ; ils ont emmagasiné dans leur mémoire toutes les formes variables que revêt la vie, et leur génie, leur prétendu génie, les amalgame, les fond, les corrige selon un idéal qu’ils estiment supérieur à tout ce qui vit. Avec leurs formules, ils peuvent sans peine composer les scènes les plus vastes et les plus compliquées ; ils ne reculent devant aucune tâche, quelque difficile qu’elle soit, mais leurs compositions, vides de pensée, représentent maintenant pour nous, non plus un sommet d’art idéal, mais une des périodes les plus stériles de l’histoire de l’art.

Que pouvait-il sortir de cet art, sinon une formidable réaction ? Après ces fictions et ces rêves, il fallait loucher terre et chercher une base solide où s’appuyer. Ce maniérisme, cet oubli de la nature, devaient provoquer un violent accès de naturalisme, et faire naître l’art du Caravage. Le premier, il formula les préceptes du réalisme et donna de magnifiques exemples de ce qu’on en pouvait attendre. A la fin du XVIe siècle on peut dire de lui qu’il sauva l’art. La vie du Caravage, écrite par Bellori, est fertile en précieux enseignemens ; elle nous fait pénétrer dans