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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/193

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en 1808. Mais elle était morte quatre ans plus tard. Depuis, il vivait dans une sorte d’isolement qui, après sa rentrée en France, n’avait fait que s’aggraver. Résidant tantôt au Palais-Bourbon, tantôt dans son domaine de Chantilly, il y était presque exclusivement réduit à la société des fonctionnaires de sa maison, chevaliers de la fidélité et, pour la plupart, compagnons de son exil, dont la tâche consistait surtout à veiller sur lui comme sur un être débile et sans défense.

Sa famille était, à son égard, comme si elle n’existait pas. Sa fille, la princesse Louise de Condé, née de son premier mariage, avait embrassé la vie religieuse en 1786, à la suite d’un chagrin d’amour[1], erré ensuite à l’étranger, pendant l’Emigration, de monastère en monastère. Depuis sa rentrée en France, elle dirigeait la Communauté des Bénédictines, dite de l’Adoration perpétuelle. Elle ne sortait jamais de son couvent du Temple. Son père allait la voir quelquefois. À ces rares visites, où il pouvait constater qu’il n’occupait plus la première place dans le cœur de la princesse cloîtrée, se bornaient leurs relations. Il avait une autre fille, Mlle de Saint-Romain, fille naturelle, mais reconnue. Le cloître lui avait pris aussi celle-là, et il la voyait encore plus rarement que l’autre.

Quant à son fils unique, le Duc de Bourbon, sorti de France en 1814, au retour de Napoléon, il n’y était pas revenu en 1815. À l’exemple du Duc d’Orléans, il était resté en Angleterre. Il y résidait encore en 1817, fort peu disposé, semble-t-il, à rentrer dans son pays, bien que son père ne cessât de l’y rappeler. Mais, quoiqu’il désapprouvât la politique du ministère Richelieu et l’appui non dissimulé que le Roi donnait à cette politique dont s’irritait l’ultra-royalisme, ce n’est ni par mécontentement ni par dépit qu’il restait à Londres. Tout autre était la cause de son exil volontaire. Malgré ses soixante ans sonnés, et bien qu’il parût plus vieux que son âge, il n’avait pas renoncé aux pompes et aux œuvres de Satan. Il était toujours l’homme dépourvu de toute discipline morale dont l’inconduite et les scandales, que rappelait encore son nom, avaient obligé sa femme à se séparer de lui, bien qu’il l’eût épousée par amour[2]. À Londres, où il

  1. Voyez l’attachant volume du marquis de Ségur, la Dernière des Condé.
  2. On sait qu’il épousa en 1770, Mlle d’Orléans, sœur de Philippe-Égalité. Elle avait dix-neuf ans, lui quinze à peine. Vu sa jeunesse, on crut devoir, le soir même du mariage, les éloigner l’un de l’autre. Mais, à peu de temps de là, il enleva sa femme. De leur rapprochement naquit le duc d’Enghien. On sait aussi que la passion du jeune mari ne tarda pas à se refroidir. La princesse dut se séparer de lui et la séparation fut définitive. La Duchesse de Bourbon se consacra entièrement à des œuvres de piété et de charité. Elle mourut en 1822. Vers la fin de sa vie, elle revoyait quelquefois son mari, auquel elle avait pardonné. Quant à lui, personne n’ignore les circonstances tragiques de sa mort, en août 1830.