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menait une vie peu digne de son rang, il s’était épris d’une jeune personne, au passé assez obscur. Il l’avait étroitement associée à son existence dont elle devait, à quatorze ans de là, assombrir et dramatiser la fin. Il laissait dire qu’elle était sa fille. Mais ses intimes savaient qu’elle était sa maîtresse. C’est elle qui l’empêchait de revenir à Paris, où il craignait de ne pouvoir cacher cette liaison aussi aisément qu’à Londres.

Pour donner le change et colorer de prétextes d’ordre politique le véritable motif de son obstination à ne pas rentrer, il s’était composé un entourage de boudeurs et de mécontens, anciens émigrés et ultra-royalistes, qui considéraient Louis XVIII comme « le plus grand jacobin du royaume. » L’extrait suivant d’une lettre, en date du 8 juin 1816, émanée d’un envoyé spécial du ministre de la Police, donne une idée de l’esprit qui régnait dans cette coterie.

« L’ambassadeur de France, chez lequel j’ai eu l’honneur de dîner hier, m’a remis plusieurs notes que je tâcherai d’approfondir. L’ambassade est dans les meilleurs principes, malgré les murmures des exagérés, qui ont ici une nombreuse colonie. Je ne suis pas d’accord sur ce point avec le marquis d’Osmond qui voudrait beaucoup les voir retourner en France. J’ai répondu à Son Excellence que nous en avions ample provision à Paris. Mais, Comme ils sont presque tous à ses crochets, elle tient à son opinion. Suivant ces messieurs, le Roi, MM. de Richelieu, Decazes, Lainé sont des révolutionnaires. Plusieurs ne veulent rentrer qu’avec Son Altesse sérénissime le Duc de Bourbon, qui n’a pas l’air de s’en soucier beaucoup, et seulement quand on révoquera les ventes des biens d’émigrés. D’autres ne veulent plus rentrer du tout, parce que, disent-ils, ils ne sont plus Français. Il est bien certain que ces messieurs n’ont besoin que de parler pour qu’on s’en aperçoive. C’est surtout contre le Concordat que s’évertuent ici ces vieilles ganaches, et puisque j’en suis au chapitre religieux, je dois dire que l’ambassadeur et moi nous sommes inutilement cassé la tôle afin de deviner le motif qui porte le comte Jules de Polignac à ne jamais venir à la