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utilitaires. Son but unique est la connaissance d’une partie des lois de l’Univers ou d’une partie du grand secret de Dieu. Chaque découverte scientifique permet à l’homme d’apercevoir, par un coin du voile soulevé, une petite fraction de l’absolu, ou du moins de ce qui, dans l’absolu, n’est pas inconnaissable à la raison humaine.

Quant aux applications, elles en découlent d’elles-mêmes par la force des choses, dans un délai qui n’est jamais bien long. Notre égoïsme suffit à nous les faire trouver. Il n’y a pas à s’en préoccuper. Après l’utilisation des combustibles minéraux pour la production de la force par la vapeur, après la houille blanche qui utilise, en ce moment, la force des chutes d’eau, déjà considérable comparativement à nos forces humaines, après la houille bleue, dont l’on commence à entrevoir la conquête, et qui emploiera la force infiniment plus considérable encore des marées, si un jour l’Humanité doit utiliser les forces colossales développées par la rotation de la Terre, et qui actuellement, sous forme d’effluves ou autrement, s’en vont éperdues dans l’espace, c’est au Pôle que sera le point le plus favorable pour la prise de force. Cette considération, si large à elle seule, nous la jetons, en passant, aux utilitaires qui demandent à quoi sert une découverte.

Au surplus, il est fort rare qu’une découverte scientifique, même très considérable, donne lieu immédiatement à des applications utiles. Celles-ci résultent en général, non pas directement d’une grande découverte, mais de la combinaison d’une découverte nouvelle avec d’autres trouvailles humaines antérieures et dont la plus indispensable, au point de vue de l’application, n’est souvent pas la plus géniale ni la plus brillante.

Presque toujours les utilisations de la Science découlent de l’état collectif des connaissances humaines, à un moment donné, et non pas d’une découverte isolée en particulier.

Nous ne savons pas encore de quels avantages pratiques pour le bien-être de notre espèce la découverte du Pôle sera le signal. Mais en présence des formidables énigmes dont la simple vue du Pôle donne la solution, ou plutôt dont le mystère du Pôle cachait jusqu’à présent la solution, on peut conclure immédiatement que la certitude, même négative, sur chacun des points indécis, constitue déjà un énorme pas en avant dans le champ du savoir humain.


EDOUARD BLANC.