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ENCHANTEMENT


Écoute les accords, Nature captivante,
Qu’en sa naïveté ce jeune pâtre invente,
Plus frais que la rumeur fluide des roseaux,
Et qui, t’enveloppant d’harmonieux réseaux,
Près de la source en pleurs que le cresson émaille,
Ruissellent de soupirs émus par chaque maille.
Goûte le charme obscur des rustiques accens
Qui s’épanchent d’un cœur en rêves innocens
Et dont la brise a fait son amoureuse haleine.
Vois : du bélier farouche à la femelle pleine,
Le troupeau subjugué lui-même est attentif ;
Et la colombe au col soyeux qui, sur cet if,
Gémissait, dilatant sa gorge aux rythmes tendres
Dont ondulait la plainte en suaves méandres,
Afin de savourer le chant délicieux,
A fermé son bec rose et clos ses divins yeux.


JEUX ÉPHÉMÈRES


De ces jours d’innocence et d’aube, où nous brillons,
Evoques-tu parfois, frère, les taurillons
Qui, par l’enclos herbeux dont nous foulions les sentes,
S’épuisaient avec nous en courses bondissantes ?
Retrouves-tu les poils frisés s’ébouriffant
Sur leur front fauve ? Au fond de tes rêves d’enfant
Aperçois-tu les yeux naïfs, très doux encore,
Puis la corne naissante et tendre que décore
Un feuillage attaché par nos doigts familiers ?
Ayant les troncs moussus des arbres pour piliers,
Le verger, souviens-t’en, formait un temple agreste ;
Et je songe parfois, frère, au peu qui nous reste
De ce vierge passé, de ce temps lumineux
Où plus purs les soleils magnifiaient en eux,
Pour ravir à l’oubli tant de limpides heures,
L’idéal ingénu qu’en souriant tu pleures.