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DOMPTEUR RUSTIQUE


Bondissant aux naseaux de l’étalon farouche
Dont un mors vil jamais n’a déformé la bouche,
L’homme, d’un seul élan, se trouve suspendu
A la narine en feu du cheval éperdu.
Un instant, le coursier surpris, malgré l’étreinte
Des doigts crispés que hait sa fière ardeur contrainte,
Malgré l’étau qui, tel un joug, va le plier,
Franchit l’espace avec son fardeau singulier.
Un instant, plus léger qu’au désert l’antilope,
D’un vol souple effleurant les herbes il galope,
Et luisant de sueur du poitrail jusqu’aux flancs,
Use une agile fougue en efforts essoufflans.
Mais soudain sa vigueur s’épuise et cède ; il foule
Moins rapide les prés où le sabot se moule,
Puis, vaincu par le poids à son mufle scellé,
Haletant il s’arrête en son délire ailé.
Comme agrandi par tout l’effroi qui le dilate,
Son œil semble injecté d’une flamme écarlate.
Tressaillant d’un frisson nerveux, encor cabré
Par momens, l’animal, que l’écume a marbré,
Au proche enclos, d’un pas docile et d’un air grave,
Suit maîtrisé celui dont l’adresse l’entrave.


LE DOUBLE BAISER


Insaisissable enfant, dont la flûte soupire,
Mêlant aux frais parfums qu’exhalent l’ægipyre
Et la menthe le charme évocateur des sons,
Veux-tu ? d’un baiser tiède ensemble caressons
La laine de l’agneau dont l’appétit avide
Épuise la mamelle abondante qu’il vide.
Peut-être la toison moelleuse tressaillant
Au contact laissera moins calme et plus vaillant
L’amour timide encor dont un frisson se glisse
En ton cœur qu’il émeut d’un suave délice ;
Le virginal désir, le rêve à peine éclos
Qui, dans l’intimité de ce paisible enclos,
Suspend l’aveu qui tremble à tes lèvres vermeilles
Comme au tilleul en fleur un jeune essaim d’abeilles.