Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/571

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tantôt sur lui, tantôt sur le duc de Norfolk et que plusieurs fois ils ont été photographiés au magnésium pendant qu’ils parlaient. On m’a dit que, étant derrière eux, je serais photographié en même temps, honneur auquel je ne m’attendais pas. Un supporter qui parle du Tariff Reform est un peu plus écouté, car cette question paraît intéresser tout le monde. Mais l’assistance s’écoulant pou à peu et ceux qui restent commençant à se quereller, le chairman prend le parti de lever la séance, renonçant même à essayer de mettre aux voix deux résolutions dont il avait le texte dans la main, l’une, je suppose, remerciant le duc de Norfolk, l’autre en faveur du candidat. Il se borne à dire que la réunion lui paraît de bon augure, car il connaît Brixton : quand les radicaux aboient, c’est qu’ils sont battus. Sur cette plaisanterie, qui a beaucoup de succès, tout le monde quitte la plate-forme et la salle.

Dans une arrière-petite pièce, je me présente moi-même au vrai duc de Norfolk. Je m’attends à le trouver un peu déçu de l’accueil qui lui a été fait et du peu d’impression qu’a produit sa présence. Mais point. C’est ici que le grand seigneur se retrouve. Il en a pris son parti avec bonne humeur et il plaisante. Le candidat paraît de moins bonne humeur ; il a beau m’assurer que cette obstruction fera très bon effet en sa faveur, je crois qu’il aurait mieux aimé autre chose. Les uns et les autres sont, j’imagine, un peu ennuyés qu’un « étranger de distinction » ait été témoin de ce spectacle. De fait, je n’en ai pas été très édifié. Je croyais les meetings populaires anglais plus graves ; nos réunions électorales, si violentes qu’elles soient parfois, sont plus sérieuses, plus dignes, plus courtoises. Même quand les deux candidats sont en présence, ce qui surexcite les passions, on écoute, plus ou moins sans doute, mais enfin on écoute chacun. Hier soir, suivant l’expression populaire, on n’aurait pas entendu Dieu tonner. Dans ces rencontres électorales apparaît le font de violence et, je dirai le mot, de brutalité de la race anglaise qui est d’ordinaire si froide et flegmatique d’apparence. Ce qui contribue, je crois, à l’absence de décorum de ces réunions, c’est In présence de femmes et de jeunes gens qui viennent là pour s’amuser, comme à un spectacle ; on m’assure cependant que dans les meetings, la tenue des femmes est plus sérieuse que celle des hommes, et il m’a semblé en effet que celles que j’avais devant les yeux se tenaient convenablement,