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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/58

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La littérature, a-t-on dit depuis longtemps, est l’expression de la société. Et comment en serait-il autrement ? Tout se tient dans l’esprit humain et il n’est rien à quoi la civilisation ou la barbarie d’une époque n’imprime sa marque. Il n’est pas jusqu’à la cuisine… Oui, il s’est trouvé quelqu’un qui a prétendu qu’on pouvait refaire l’histoire de la civilisation en faisant celle de la cuisine. Mais laissant là le pot-au-feu, l’histoire des vêtemens est féconde en renseignemens sur l’évolution morale du genre humain, de même que l’architecture. Les vieilles pierres parlent, elles ont leur éloquence sur les choses du passé. Non seulement les maisons, mais tel détail de leur aménagement intérieur qui lui aussi est un signe des temps, un témoin intelligent et parlant des révolutions que subit et traverse la société. Les sonnettes par exemple… non pas les sonnettes qui aboutissent à la porte d’entrée des maisons, mais celles qui font communiquer la chambre à coucher ou le salon avec l’office ou l’antichambre. Ces sonnettes-là sont relativement d’origine récente. À la fin du XVIIe siècle encore, par un usage hérité du moyen âge, la petite noblesse vivait dans un état de domesticité auprès de la grande, et la princesse du sang, la duchesse et pairesse, sans cesse entourée de femmes titrées qui sont à sa dévotion, leur fait porter ses ordres à ses gens ; mais à mesure que le succès couronne davantage les entreprises et les usurpations de la royauté et que la haute noblesse voit décliner sa puissance, la petite noblesse se redresse, elle refuse de servir, les dernières traces de la domesticité noble disparaissent, et la grande dame, abandonnée de son entourage accoutumé, sent le besoin de communiquer avec l’antichambre par un cordon, un fil de fer et une sonnette. Qu’elles sont éloquentes ces sonnettes ! Ne semble-t-il pas qu’elles sonnent le glas funèbre de la puissance nobiliaire ?

Si donc les vêtemens, les maisons, les sonnettes même sont des témoins bien informés de l’histoire morale de la société, quelle place faudra-t-il donner à la littérature, cette maison spirituelle que se bâtit l’esprit humain et sur la face de laquelle il imprime le caractère vivant de ses pensées et de ses passions !

M. de Donald a eu raison de dire que la littérature est l’expression de la société Mais j’ajoute que de tous les genres littéraires celui qui est l’image la plus fidèle des réalités, celui qui nous en apprend le plus sur les mœurs, les caractères et les