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leur malfaisante sociale. S’ils restent peu, leur désir de se concerter en vue de la libération prochaine en sera d’autant plus surexcité. Or, à ces exigences si rationnelles on a répondu en en prenant exactement le contre-pied.

A quel point les peines sont réduites, on vient de le voir. Quant à la séparation ordonnée par la loi de 1875, elle est réalisée, semble-t-il, dans vingt-cinq ou trente prisons sur quatre cents. Dans les maisons centrales, elle est nulle. Dans notre grande prison parisienne de Fresnes, réservée à tous les professeurs, à tous les artistes, à tous les propagateurs érudits des délits qui se perfectionnent dans la capitale, qu’a-t-on fait ? Oh ! un monument dont tous les dessins ont dû réjouir l’œil des amis d’une architecture appelant à elle et coordonnant les ressources les plus variées de l’industrie contemporaine ! Que les systèmes de chauffage et d’éclairage y aient été remarquablement étudiés, que les services matériels y aient été distribués avec habileté, que les dégagemens en soient faciles, que l’on ait un certain plaisir à suivre les longues lignes des belles avenues du dehors et des larges couloirs du dedans, que toutes ces masses de constructions satisfassent enfin le besoin de symétrie qui nous est propre, tant qu’on voudra ! Il n’en est pas moins vrai que les gardiens connaissent à chaque détenu cinq moyens de communication contre lesquels ils se déclarent impuissans, et le jour où l’un d’eux me les expliquait pour la première fois, je n’avais aucune peine à en trouver immédiatement deux autres.

Est-il vrai que les délinquans aiment un pareil séjour et le recherchent ? Indubitablement ils l’aiment moins et ils le recherchent moins que la prison en commun ; mais enfin est-il vrai que les délinquans aiment encore nos prisons, quelles qu’elles soient ? Eh bien ! non, on ne peut pas le dire de tous. Dans ces bas-fonds du faux Paris qui reçoivent leur population de partout, il y a sous ce rapport deux groupes d’hommes à distinguer. Les uns sont les résolus, les violens, les avides de jouissances grossières, les inventeurs de trucs savans : ce sont évidemment les plus dangereux, et ce sont aussi ceux qui s’appliquent le plus à éviter la privation de la liberté ; aussi ne réussissent-ils que trop longtemps à demeurer impunis. Les autres sont ces êtres fatigués et finalement passifs qui se contentent de peu, pourvu qu’ils ne travaillent pas. Ces derniers sont d’autant plus loin de redouter la cellule que pour eux elle