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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/664

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n’est, ni longue ni dure, ni assez rigoureusement séparée, on vient de le voir, du monde connu de celui qui vient s’y abriter en mauvaise saison. Ils choisissent donc le jour de leur entrée, comme ils le faisaient depuis si longtemps. Beaucoup avaient primitivement l’habitude de casser un réverbère ou de dégrader un monument public ; mais c’était là un acte qui, en lui-même, n’avait rien d’assez agréable pour eux. De là la méthode plus récente qui consiste à se faire servir un bon repas et à se faire arrêter par les soins du restaurateur impayé. Mais voici que celui-ci ne veut plus perdre son temps à porter plainte, et j’ai eu occasion de citer des cas où tel habitué de la prison ne parvenait qu’à grand’peine à se faire enfin livrer à la justice. Aussi, me disent les gardiens de Fresnes, s’est-il établi peu à peu un accord entre un certain nombre de cabaretiers et cette portion de leur clientèle. Le moment psychologique venu, le cabaretier se prête à tout, à donner à manger et à boire, à ne pas être payé, — cette fois, — et à faire arrêter le compère ; il sait bien que prochainement plus d’une bombance viendra le dédommager. Que conclure, sinon que les criminels actifs et les criminels passifs ont été également relâchés beaucoup trop tôt : les uns parce qu’ils savent trop bien éviter la prison qu’ils méritent et dont la prolongation les priverait de tant de belles occasions de mal faire, les autres parce qu’ils reviennent trop souvent dans cette prison qui ne les élirait ; plus et qui, — chose plus grave, — ne les sépare que pour une période insignifiante de ceux dont ils redeviennent à volonté les associés ou les parasites ?

Une séparation plus rigoureuse, nos philanthropes l’admettent, en théorie tout au moins, pour les peines courtes, pour celles qui frappent des méfaits peu graves. Mais, disent-ils, est-il possible de garder un homme en cellule pendant une longue suite d’années, sans faire de lui un fou, un être inutile, une sorte de cadavre vivant ou de bête hibernante, ne rendant plus témoignage que de la barbarie d’une société impitoyable ? Eh bien ! oui, cela est possible, et il est possible de transformer un tel détenu en un être qui travaille utilement pour lui et pour les autres, qui ait même avec le monde honnête plus de rapports sociaux qu’il n’en a jamais eu jusque-là. En dépit des suppositions et des raisonnemens, — il ne nous en coûte pas de dire en dépit des vraisemblances, — c’est l’expérience qui a décidé