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l’Europe au seuil de la guerre. Les partis, passionnés par la lutte politique et religieuse, ont besoin d’être rappelés au premier des devoirs nationaux. Le Roi s’acquitte de cette tâche avec une inlassable insistance. En 1872, une nouvelle loi militaire organise le remplacement pour rendre le service moins lourd et les effectifs plus stables. En 1874, une solde de 10 francs par mois est assurée aux miliciens. Le discours du trône de 1877 convie le peuple belge à placer au premier plan du culte patriotique l’amour de l’indépendance. Celui de 1878 annonce la création d’une armée de réserve. C’est la préoccupation constante qui, quelques années plus tard, s’exprimera dans une circonstance solennelle avec une éloquente gravité : « Le lion de Flandre, s’écrie Léopold II, ne doit pas sommeiller. Le noble héritage dont vous êtes justement fiers subsistera et ne cessera pas de s’accroître en cultivant toujours les sentimens virils, en entretenant le feu sacré du patriotisme… Toute liberté naît et périt avec l’indépendance. C’est la leçon écrite à chaque page de notre histoire… »

Des années s’écoulèrent cependant sans que le souverain pût obtenir des Chambres un effort nouveau. Les catholiques avaient pris le pouvoir et semblaient plus que jamais capables de le garder, en y portant cette sécurité décevante que donne l’habitude du succès. Pour jouer la partie militaire, le Roi ne pouvait agir que de biais, en encourageant des tendances diffuses, en suscitant des interventions individuelles. C’est en 1897 la campagne contre le remplacement menée par le général Brassine durant son court passage au ministère de la Guerre. C’est la propagande du général Brialmont en faveur du service personnel, propagande encouragée par le Roi. Une délégation d’anciens militaires vient-elle lui recommander la réforme qu’il est le premier à souhaiter ? Il n’hésite pas à donner de sa personne, à faire front aux Chambres et au pays : « Vous prêchez, répond-il, un converti. Je suis trop soucieux de la sécurité et de la défense éventuelle de mon pays pour ne pas souhaiter que le service personnel soit à la base de son régime militaire. Pas plus qu’il ne lui est possible de s’isoler du reste du monde, une nation ne saurait se dispenser d’organiser solidement sa défense, si elle ne veut être à la merci du hasard. La nation règle ses destinées, dans la plénitude de sa liberté. Je n’ai jamais failli à mon devoir d’avertir. Je suis et je reste à l’avant-garde des patriotes. »