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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/939

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peut rivaliser avec lui, il compare son chant à un autre chant idéal et dont il rêve. Ainsi le poète porte en lui le modèle d’une perfection inaccessible, et l’œuvre qu’il aurait voulu faire le désenchante de celle qu’il a faite. Cet orgueilleux est à sa manière un modeste. Un coup de feu : le rossignol se tait, frappé à mort. Mais voici déjà qu’on entend monter dans l’air un autre chant de rossignol. Car il en est ainsi et ce n’est rien que la mort d’un poète. D’autres sont là, tout prêts déjà pour le remplacer. La partie qu’il abandonne, d’autres la reprendront pour lui. Les défaillances individuelles ne comptent pas, au regard de l’ensemble. Une seule chose importe, c’est que la poésie ne meure pas dans le monde.

Je m’en suis tenu, dans ce qui précède, à ce qui m’a semblé l’âme même de la pièce. J’en ai dégagé l’inspiration profonde et isolé l’essentiel. Il convient d’ajouter que, réduite ainsi à l’étude de l’idée maîtresse, l’analyse ne donnerait pas de Chantecler une image ressemblante. Elle en fausserait le caractère en le guindant et le solennisant. Au contraire l’atmosphère de la pièce est une atmosphère de libre fantaisie, de belle humeur et de gaieté. Les grelots de la folie y mettent leur tintement joyeux. Mille et un traits d’ironie, d’espièglerie, de gaminerie raillent au passage les plus modernes de nos travers. En maints endroits, on sent que le poète s’amuse. C’est son droit et mieux que son droit. On aime cette gaieté qui est, chez le poète mûri, restée si jeune. On lui en veut seulement de certains écarts de cette gaieté.

Chantecler étant œuvre de poète, et la poésie résidant pour une bonne part dans le mot et dans le rythme, il y aurait une étude à faire du style et de la versification. Autant que par les sentimens Chantecler est une œuvre lyrique par l’expression, par le jaillissement des images et par l’invention verbale. Mais les élémens me manquent pour entreprendre cette étude. Je n’ai pas le texte sous les yeux, et surtout, — les vers de théâtre étant des vers écrits et rimes suivant une technique spéciale pour l’audition théâtrale, — je n’ai pas dans l’oreille les vers de Chantecler. Il ne m’en est parvenu, comme à tout le monde, à travers le bredouillement des acteurs, que des bribes, des tronçons, des monstres. Il m’a semblé pourtant entrevoir au passage nombre d’images fraîches, gracieuses et neuves. J’ai noté aussi des tas de plaisanteries, calembours, calembredaines, à-peu-près, pointes, jeux de mots et allitérations qui sont du plus déplorable effet. Le père de Cyrano est un contemporain de Gongora, un rival du cavalier Marin. Le mot, la syllabe l’hypnotise. Ce travers même faisait merveille dans