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REVUE. — CHRONIQUE.

défense nationale les millions dont elle a besoin, pour les consacrer à des lois sociales dont nous ne contestons pas l’intérêt, mais qui dès le début coûteront très cher, et dans l’avenir encore davantage.

La loi sur les retraites ouvrières est du nombre. On comptait sur le Sénat pour la corriger ; mais, s’il l’a améliorée sur certains points, il l’a aggravée sur d’autres et n’a nullement répondu à l’espérance qu’avaient mise en lui ceux que préoccupe l’état de nos finances. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit de la première partie de la discussion. La seconde a été meilleure. Le Sénat a reculé devant des surenchères d’autant plus redoutables qu’elles visaient le monde des campagnes, si puissant au point de vue électoral. Le but de la loi était d’assurer, dans certaines conditions, des retraites aux ouvriers des villes et des champs, c’est-à-dire aux salariés. Il aurait fallu s’en tenir là, et telle était bien la première intention du gouvernement et de la Commission ; mais ils étaient sur une pente glissante. La limite entre les salariés et les tout petits patrons, soit urbains, soit ruraux, est parfois difficile à établir ; aussi l’a-t-on franchie, et, après l’avoir franchie, on est encore allé de l’avant, de manière à englober parmi les assurés, d’abord les petits métayers, puis les petits fermiers, puis les petits propriétaires. On s’est fait des concessions mutuelles pour définir les nouveaux bénéficiaires ; mais le gouvernement et la Commission voulaient ne leur attribuer que quelques-uns des avantages de la loi, tandis que les auteurs d’amendemens voulaient les leur accorder tons. Combien cela coûterait-il ? La question a été longuement agitée, avec des chiffres variables. Ceux de M. le ministre des Finances ont fait naturellement autorité, et ils ont paru effrayans. M. Ribot, qui avait pris une part si importante à la discussion de la première moitié de la loi, et qui alors était allé très loin dans une voie où le gouvernement marchait encore avec hésitation et timidité, M. Ribot a indiqué nettement le point au-delà duquel il n’irait pas et il a réussi à y arrêter le Sénat. — Je ne voterai pas la loi, a-t-il dit, si on y ajoute les surcharges proposées. — À ce premier avertissement, d’autres sont venus s’ajouter. M. le ministre des Finances ne s’est pas contenté de combattre par des argumens l’amendement de M. Lintilhac ; il a déclaré que, s’il était voté, il laisserait à un autre le soin de trouver les ressources pour l’appliquer. C’était jeter son portefeuille dans la balance. L’énergie de M. Cochery, son émotion même, le geste résolu par lequel il a posé la question de confiance ne pouvaient manquer défaire impression sur une assemblée qui n’a pas l’habitude de renverser les ministères. Le Sénat a compris