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et par les lois russes. Théoriquement, la solution est aisée : il n’y en a qu’une, et elle est des plus simples. Elle consisterait, tout bonnement, à supprimer les lois spéciales sur les Juifs, lois multiples, compliquées de règlemens et d’exceptions de toute sorte, qui forment aujourd’hui un code volumineux, ou mieux un dédale confus dans lequel les juristes les plus experts ont souvent peine à ne pas s’égarer. La Russie, devenue définitivement un pays moderne, n’aurait qu’à imiter les autres États européens, à copier l’exemple que la Révolution française a la première donné à l’Europe et au monde, en abrogeant toutes les lois et les règlemens spéciaux aux sectateurs de la loi mosaïque. Un oukase impérial, une loi en un seul article y suffirait. C’est la solution la plus radicale ; c’est aussi la plus logique, comme la plus équitable. Par malheur, si elle compte en Russie de nombreux partisans, surtout parmi les groupes de gauche, elle rencontre encore plus d’adversaires.

Quelque opinion qu’on ait sur la question, force est de reconnaître que la Russie de l’empereur Nicolas II, la Russie constitutionnelle de la troisième Douma, n’est pas prête à la trancher ainsi, d’un coup, dans le sens moderne, c’est-à-dire dans le sens de la pleine liberté, de la pleine égalité. Parmi les libéraux mêmes, ou ceux qui se flattent de l’être, plus d’un Russe fait valoir que la Russie n’est pas préparée à une mesure aussi brusque et aussi radicale. Certains affirment même que l’esprit du pays y est encore si opposé, qu’une entière et soudaine émancipation des cinq millions d’Israélites risquerait de tourner contre eux et contre la paix publique, en soulevant les haines et les fureurs des masses populaires. Proclamer l’égalité des Juifs et des chrétiens, ce serait, à les entendre, inviter la Russie à un immense pogrom, c’est-à-dire au pillage et au massacre de toute la population juive. C’est ainsi, au nom même de la sécurité des Israélites, que beaucoup de Russes refusent aux Israélites l’égalité des droits civils.

Alors même qu’elles seraient toujours sincères, ces craintes sont-elles bien fondées ? Nous ne nous arrêterons pas à le discuter. Aux Russes qui affirment le danger d’une complète et soudaine émancipation des Juifs, on peut concéder qu’une pareille mesure, opérée subitement, d’un seul coup, ne serait pas sans inconvéniens, peut-être même sans périls. Pour écarter toute appréhension, il ne suffit pas de citer l’exemple des pays voisins