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et retirée, d’autant plus que, par un bonheur assez singulier, le mariage lui rendit sa maison plus agréable. » — « Il (Newton) ne parlait jamais de lui... Il est vrai qu’on lui épargnait assez le soin de se faire valoir ; mais combien d’autres n’auraient pas laissé de prendre encore ce soin, dont on se charge si volontiers et dont il est si difficile de se reposer sur personne ! »

Qu’il ait un peu abusé de l’esprit, il est possible ; qu’il l’ait un peu cherché, il est probable ; mais il n’a pas couru après : l’esprit était toujours-trop voisin de Fontenelle et se plaisait trop à sa compagnie pour se laisser poursuivre et ne pas venir de lui-même.

À ce propos, M. Potez a cité quelque chose, mais infiniment peu, de l’ouvrage le plus décrié de Fontenelle, qu’il a décrié lui-même et dont il avait un peu honte (préface de l’édition de 1742) : les Lettres galantes du chevalier d’Her... M. Potez aurait pu, dû peut-être, en citer davantage pour les venger, dans la juste mesure, d’un dédain qui, d’aller jusqu’au mépris, est le plus injuste du monde. Je sais bien qu’il suffit d’un Voiture. Je ne suis pas sûr pourtant que ce soit un abus qu’il paraisse deux Voiture par siècle, surtout quand le second vaut tout le premier et de plus, et par ailleurs, est tout autre chose. Et donc, que dites-vous de ce billet à une jeune Anglaise venue depuis peu en France : « ...Fussiez-vous Française, je vous estimerais beaucoup ; cependant il me semble que votre petit jargon étranger contribue un peu au plaisir que j’ai de vous voir. Vous ne sauriez croire combien votre visage s’anime et combien il y naît de grâces au moment que vous cherchez un mot. Toute l’éloquence qui manque encore à votre bouche est dans vos yeux. Je ne sais plus comment on peut aimer des femmes qui parlent français sans difficulté... »

Quelquefois, dans ce même ouvrage, Fontenelle, sans y insister, trace un portrait de lui-même qui est assez précieux pour sa biographie et qu’on y devrait encadrer, pour bien faire. « Les plus insupportables de toutes les plaintes, ce sont celles qui partent d’un caractère jaloux... Pour moi, ou j’estime assez celles que j’aime pour ne pas croire quelles puissent partager leur cœur ; ou je les estime assez peu pour ne m’inquiéter point qu’elles le partagent... Si vous croyez que l’amour doive être une frénésie et qu’il faille que deux personnes, sous prétexte de s’aimer, se tourmentent perpétuellement, je ne vous conteste plus rien ; mais moi, j’ai des idées plus douces et je voudrais accorder l’amour avec un peu de repos... »