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et hallebardes, berlines et carrosses transportent le spectateur dans un passé lointain, qui ignorait le veston, le parapluie et l’automobile. Et lorsque derrière les vitres, drapée d’écarlate, passe la silhouette royale, le Souverain apparaît à cette foule qui le salue d’une acclamation brève et nette, d’une litanie rapide de hurrahs, comme le symbole religieux de l’unité nationale.

Les employés retournent à leurs boutiques. Démolisseurs et maçons reviennent à leurs chantiers. Chômeurs et vagabonds reprennent leur flânerie. Le service est terminé.

Cet acte de piété monarchique est bien suggestif. Il est précieux au moment où les forces radicales vont tenter le premier assaut vraiment décisif contre la Chambre des Lords, Il éclaire d’une utile lumière les dessous de l’âme anglaise et les limites du mouvement démocratique. Il précise, d’une singulière façon, les résultats des élections dernières et la portée des batailles prochaines. Il montre qu’à l’ardente poussée de 1906 a succédé une légère accalmie, un temps d’arrêt.

Si l’on veut comprendre les traits qui caractérisent ce lendemain d’élections, il faut analyser d’abord les courans d’opinion : — ils s’équilibrent. — Il faut étudier ensuite la situation parlementaire : — les groupes se balancent. La vie politique du peuple anglais traverse une de ces courtes périodes d’incertitude et d’attente qui précèdent le retour certain de la marée prochaine.


I

Devons-nous, pour préciser les questions sur lesquelles le peuple anglais vient d’être appelé à se prononcer, dresser l’une en face de l’autre les silhouettes de H. Asquith et de M. A. J. Balfour ? Après avoir dessiné le portrait du bourgeois du Yorkshire, juriste redouté, avocat lumineux, au profil régulier et à la stature solide, après avoir buriné le masque du gentilhomme lettré, philosophe reconnu et musicien apprécié, au regard de poète et aux gestes d’universitaire, on n’aurait plus qu’à résumer leurs discours de propagande et à citer leurs professions de foi. Cette méthode, à laquelle est habitué le public français, présente, en l’espèce, de graves dangers. Elle tendrait à faire croire au lecteur que l’opinion britannique a été invitée à. choisir