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joue dans les faubourgs anglais le même rôle que les souvenirs de l’« ancien régime » dans la campagne française, n’ont pas, elles non plus, la vitalité qu’elles ont eue lors des crises douloureuses et intenses de 1878-79, 1885-86, 1893-94.

Quelles sont les classes de cette société hiérarchisée de haut en bas, qui, à cette date précise de janvier 1910, dans des circonstances économiques bien déterminées, seront sensibles aux appels des Tariff Reformers.

Les propriétaires fonciers et les gros fermiers ne sont pas seuls à redouter les taxes agraires et à escompter les primes douanières. L’industrie du fer et de l’acier, cette doyenne des industries anglaises, campée dans les vallons du Midland, aujourd’hui déboisés par les villes et comblés par les scories, n’est plus la seule qui ne parvienne point à oublier les périls de la concurrence étrangère et les garanties d’une muraille protectionniste. À ces deux grandes catégories qui, aujourd’hui comme hier, forment les troupes les plus fidèles du parti conservateur, il faut ajouter des recrues individuelles appartenant aux mêmes classes sociales : tisseur du Lancashire, préoccupé du renchérissement des cotons américains ; armateur de l’Est, qu’irrite le cabotage allemand ; fabricant d’automobiles, lésé par la reprise des importations françaises.

Mais les inquiétudes protectionnistes, que réveillent la situation commerciale et les menaces budgétaires, ne sont point limitées à l’aristocratie terrienne et industrielle. Les classes moyennes ne font pas bloc en 1910, comme jadis, derrière l’étendard libre-échangiste. Les boutiques de luxe, — à Londres, par exemple, le commerce des objets d’art, — redoutent l’atteinte que porteront à la circulation de l’or les prélèvemens du fisc. Les débitans de boissons, quand ils ne sont pas touchés directement par l’accroissement des patentes, craignent la répercussion des droits sur la bière et des impôts sur les fabricans. Ces angoisses individuelles ne sont pas compensées par une satisfaction générale, qu’auraient pu éveiller les charges dont est grevé ce propriétaire urbain, invisible et à peine connu, représenté par un « agent » et un bureau, qui possède une rue, un square, un quartier et parfois une vil’e. Dans une circonscription de Londres entièrement bâtie, à South Paddington, le candidat radical, l’éloquent Frédéric D. Henlé, explique l’échec, qu’a subi, en sa personne, le budget, par la crainte qu’ont les