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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/605

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Le trône est à l’abri des orages populaires. La couronne est un placement de père de famille. Mais cette transformation de l’activité royale a privé l’Angleterre d’un contrepoids d’autant plus nécessaire que l’évolution démocratique devient plus rapide. Du jour où le Souverain a renoncé à toute action sur le pouvoir législatif, le rôle des Lords, seule barrière contre les Communes toutes-puissantes, a grandi. Le pouvoir des Pairs est le dernier frein dont dispose l’Angleterre, pour ralentir la poussée des forces populaires. La seconde Chambre n’est pas une Cour d’appel parlementaire qui retouche les textes, précise les passages obscurs, atténue les articles imprudens. C’est un contrepoids social qui ne fonctionne que lorsqu’une poussée trop forte risque d’ébranler l’édifice.

Chaque fois qu’un Cabinet conservateur est au pouvoir, le frein n’agit pas : il est inutile. Lorsqu’un ministère radical prend en mains la direction des affaires, les roues sont bloquées ou presque. De 1874 à 1880, de 1886 à 1892, pendant le règne de lord Beaconsfield et de lord Salisbury, les Lords se bornent à rejeter la loi qui autorise le mariage d’un veuf avec sa belle-sœur. Lorsque Gladstone et lord Rosebery reviennent au pouvoir (1880-86, 1892-95), les Bills radicaux sont guillotinés avec une énergie implacable. Et cependant tel d’entre eux, — notamment sur les accidens du travail, — n’avait point un caractère révolutionnaire. De 1895 à 1905, pendant dix longues années, les roues de la machine législative tournent en pleine liberté. Pas une fois le frein n’est mis. Et cependant la loi scolaire conservatrice est aussi inique pour les églises protestantes, que la loi radicale de 1906 l’est au point de vue anglican ou romain. En 1906, les tories sont chassés de Westminster. Le contrepoids se remet à jouer.

Jamais son maniement n’a été plus délicat. Il faut être entré dans les Communes de 1900 et avoir assisté aux séances du Parlement de 1906 pour comprendre l’importance de cette transformation politique. Les couloirs, jadis déserts, sont envahis. Les « hauts de forme » et les redingotes disparaissent noyés sous les « melons » et les jaquettes. Les délégations ouvrières se succèdent dans les lobbies ; et, pilotées par les Labour members, font le tour de l’abbaye historique, comme d’un domaine conquis. Sur les bancs de cuir vert se presse une majorité si nombreuse qu’elle déborde sur les sièges réservés aux Conservateurs. Elle.