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de la liste civile. Il lui restait donc 5 millions pour son usage personnel, ce qui fait en dix-huit ans, 90 millions. Vous pourrez, si cela vous convient, publier la liste que je vous remets. Elle contient l’énumération détaillée de 72 millions qui ont été donnés par l’Empereur sur ces 90 millions, pour divers objets de bienfaisance : églises, maisons d’école, défrichemens, routes, sociétés de secours, etc. Vous y trouverez aussi le nom de tous ceux qui se font honneur d’être les obligés de leur souverain, mais seulement ceux-là. Il n’est donc resté à l’Empereur que 18 millions pour dix-huit ans, c’est-à-dire un million par an. Mais il y a encore d’autres listes qui ne verront pas la lumière, quoiqu’elles dussent être des plus intéressantes. Il y a en France quantité de gens qui tomberaient des nues, s’ils apprenaient que le secours reçu par eux dans une heure de désespoir et qui les sauvait de la misère, leur venait de cet Empereur qu’ils poursuivaient de leurs outrages ! » Thélin se hâtait de dire que Napoléon III ne permettrait jamais cette publication. C’est par les Papiers des Tuileries, saisis au 4 Septembre, qu’on a appris certaines libéralités faites à des adversaires de l’Empereur en France et à l’étranger et qui étonnèrent singulièrement l’opinion. Thélin était d’ailleurs d’une discrétion à toute épreuve, et jamais on n’aurait obtenu de lui la moindre révélation sur les dons particuliers faits de la main de son maître.

A chacune des apparitions du trésorier à Wilhelmshöhe, on se demandait quelle pouvait être la fortune de l’Empereur et nul ne pouvait la préciser exactement. Le général Castelnau l’estimait à environ deux cent mille francs de rentes. Les seuls revenus sur lesquels on pouvait alors compter étaient ceux de l’Impératrice en Espagne. Le comte Arese, ami intime de Napoléon, lui avait offert généreusement de lui venir en aide, et Napoléon III lui avait répondu le 14 novembre : « Sans avoir les millions que la presse veut bien me donner, nous avons, l’Impératrice et moi, tout ce qu’il faut pour vivre convenablement pendant un an. Après cette époque, si l’on confisque tout ce que j’ai laissé en France, nous aurons pour vivre les revenus de mes terres en Italie et le produit des bijoux de l’Impératrice. Avec cela, nous pourrons être à notre aise, comme de bons bourgeois de la rue Saint-Denis[1]. » Après la vente

  1. Le comte Arese, par le comte Grabinski, 1894.